•  

     

    J'ai ruiné mon cœur, j'ai dévasté mon âme

    Et je suis aujourd'hui le mendiant d'amour:

    Des souvenirs, pareils à la vermine infâme,

    Me rongent à la face implacable du jour.

    J'ai ruiné mon cœur, j'ai dévasté mon âme,

    Et je viens lâchement implorer du destin

    Un reflet de tes yeux au caprice divin,

    O forme fugitive, ô pâleur parfumée

    Si prodigalement, si largement aimée!

     

    J'ai cherché ton regard dans les yeux étrangers,

    J'ai cherché ton baiser sur des lèvres fuyantes;

    La vigne qui rougit au soleil des vergers

    M'a versé dans ses flots le rire des Bacchantes;

    J'ai cherché ton parfum sur des lits étrangers

    Sans libérer mon cœur de tes âpres caresses.

    Et, comme les soupires des plaintives maîtresses

    Qui pleurent dans la nuit un été sans retour,

    J'entends gémir l'écho des paroles d'amour.

     

    O forme fugitive, ô pâleur parfumée,

    Incertaine douceur arrachée au destin,

    Si prodigalement, si largement aimée!

    J'ai perdu ton sourire au caprice divin;

    O forme fugitive, ô pâleur parfumée,

    Tu m'as faite aujourd'hui le mendiant d'amour

    Etalant à la face implacable du jour

    La douleur sans beauté d'une misère infâme...

    J'ai ruiné mon cœur, j'ai dévasté mon âme.

     

     

    Renée VIVIEN - 1906


    votre commentaire
  •  

     

    J'ai cherché moi aussi aux bras des inconnues

    Ce même amour... Je n'en ai tiré que des larmes...

    Et j'ai cherché auprès de combien d'autres femmes

    Une tendresse qui ne m'est jamais venue.

     

    Pour un brin d'affection, pour un peu de tendresse

    Comme toi, j'ai mendié ma vie plus que jamais,

    Sans comprendre que c'était toi que j'attendais,

    Aveuglée que j'étais, et le cœur en détresse.

     

    C'est toi que j'attendais, te voilà revenue!

    Et de nouveau s'éveille l'ardeur de ma flamme...

    Et le printemps renaît, et sereine mon âme

    Flotte amoureusement, et depuis, dans les nues...

     

    Toi que j'aime, Pauline, ô divine Princesse,

    Toi qui m'aimes au-delà du monde imparfait,

    Nous l'avons retrouvé ton sourire et, c'est vrai,

    Vois donc comment nos deux cœurs enfin sont en liesse...!

     

    L.


    votre commentaire
  •  

     

    Dans l'Hadès souterrain où la nuit est parfaite

    Te souviens-tu de l'île odorante, ô Psappha?

    Du verger où l'élan des lyres triompha,

    Et des pommiers fleuris où la brise s'arrête?

     

    Toi qui fut à la fois l'amoureuse et l'amant,

    Te souviens-tu d'Atthis, parmi les ombres pâles,

    De ses refus et de ses rires, de ses râles,

    De son corps étendu, virginal et dormant?

     

    Te souviens-tu des hauts trépieds et de leurs flammes?

    De la voix d'Eranna, s'élevant vers la nuit,

    Pour l'hymne plus léger qu'une aile qui s'enfuit,

    Mais qui ne perdra point la mémoire des femmes?

     

    Ouvre ta bouche ardente et musicale... Dis!

    Te souviens-tu de ta maison de Mytilène,

    Des cris mélodieux, des baisers dont fut pleine

    Cette demeure où tu parus et resplendis?

     

    Revois la mer, et ces côtes asiatiques

    Si proches dans le beau violet du couchant,

    Que, toi, tu contemplais, en méditant un chant

    Sans faute, mais tiré des barbares musiques!

     

    Le Léthé peut-il faire oublier ces vergers

    Qui dorment à l'abri des coups de vent maussades,

    Et leurs pommes, et leurs figues, et leurs grenades,

    Et le doux tremblement des oliviers légers?

     

    Peut-il faire oublier le pas lassé des chèvres

    Vers l'étable, et l'odeur des vignes de l'été?

    Dors tu tranquillement là-bas, en vérité

    Toi dont le nom divin est toujours sur nos lèvres?

     

    Toi qui fut la prêtresse et l'égale des Dieux,

    Toi que vint écouter l'Aphrodite elle-même,

    Dis-nous que ton regard est demeuré suprême,

    Que le sommeil n'a pu s'emparer de tes yeux!

     

    Parmi les flots pesants et les ombres dormantes,

    Toi qui servis l'Erôs cruel, l'Erôs vainqueur,

    L'Erôs au feu subtil qui fait battre le cœur,

    As-tu donc oublié le baiser des amantes?

     

    Les vierges de nos jours égalent en douceur

    Celles-là que tes chants rendirent éternelles,

    Les vignes de Lesbos sont toujours aussi belles,

    La mer n'a point changé son murmure berceur.

     

    Ah! rejette en riant tes couronnes fanées!

    Et, si jamais l'amour te fut amer et doux,

    Ecoute maintenant et reviens parmi nous

    Qui t'aimons à travers l'espace et les années!

     

    Renée VIVIEN - Sillages - 1908


    votre commentaire
  •  

     

    En ce jour, je ne me souviens de presque rien,

    Mais saches que lorsque la question fut posée

    Je me souvenais bien, et sans nul doute aucun

    De tout ce qui fut nous, de tout notre passé.

     

    Près de toi j'étais là, ô ma toute charmante,

    Le Léthé ne m'a pas effacé ma mémoire,

    Baignant dans la lumière et bien plus que vivante.

    Je n'ai jamais connu l'enfer, ce grand trou noir.

     

    Aujourd'hui, la situation est inversée,

    Et c'est toi qui détiens tous nos vieux souvenirs,

    Toutes les identités de notre passé,

    N'ignorant plus rien de notre bel avenir.

     

    Qui sait combien de fois, et ce pour te revoir,

    Jadis, au faveur de la réincarnation,

    J'ai sauté dans un corps à mon grand désespoir?

    L'enfer fut sur la terre une vraie punition.

     

    Alors, j'ai essayé dans cette incarnation

    D'y emporter tous nos souvenirs les plus chers,

    J'y étais parvenu... Plus tard l'éducation

    A tout ré-effacé par des moyens pervers.

     

    Pour l'avoir regretté, tu connais cette foule,

    Ignorante qu'elle est des vraies lois de l'Astral,

    Qui pour peu qu'on refuse d'entrer dans son moule

    Va, contre nous, jusqu'à utiliser le mal.

     

    S'il m'est arrivé dans une autre incarnation

    D'être brûlée soi-disant pour sorcellerie,

    Bien que j'en ai tiré une dure leçon

    Je leur tiendrai tête malgré leur lourd mépris.

     

    Non contente d'avouer, en leur ouvrant mon âme,

    Que de tout temps je n'ai jamais aimé les hommes,

    Que mon cœur n'a jamais battu que pour les femmes,

    Je leur avoue à présent que je suis médium,

     

    Que je vis avec toi qui est dans l'autre plan,

    Ma douce, et que le ciel n'y voit aucun problème,

    Et que tout un chacun pourrait en faire autant

    Et communiquer sans fin avec ceux qu'il aime.

     

    Même si, plus ou moins, nos souvenirs s'effacent,

    Malgré ceux qui, par peur, vont tout ensevelir,

    J'avais la volonté d'en retrouver la trace

    Et, grâce à toi, je retrouve nos souvenirs.

     

    Je n'ai jamais été à l'égal des Dieux,

    J'ai juste osé être moi-même au temps jadis,

    Et au risque de faire encore des envieux

    Demain, rien que pour toi, je reprends mon paktis.

     

    L.


    votre commentaire
  •  

     

    La lune se levait autrefois à Lesbos

    Sur le verger nocturne où veillaient les amantes.

    L'amour rassasié montait des eaux dormantes

    Et sanglotait au cœur profond du sarbitos.

     

    Psappha ceignait son front d'augustes violettes

    Et célébrait l'Erôs qui s'abat comme un vent

    Sur les chênes... Atthis l'écoutait en rêvant,

    Et la torche avivait l'éclat des bandelettes.

     

    Les rives flamboyaient, blondes sous les pois d'or...

    Les vierges enseignaient aux belles étrangères

    Combien l'ombre est propice aux caresses légères,

    Et le ciel et la mer déployaient leur décor.

     

    ... Certaines d'entre nous ont conservé les rites

    De ce brûlant Lesbos doré comme un autel.

    Nous savons que l'amour est puissant et cruel,

    Et nos amantes ont les pieds blancs des Kharites.

     

    Nos corps sont pour leur corps un fraternel miroir.

    Nos compagnes, aux seins de neige printanière,

    Savent de quelle étrange et suave manière

    Psappha pliait naguère Atthis à son vouloir.

     

    Nous adorons avec des candeurs infinies,

    En l'émerveillement d'un enfant étonné

    A qui l'or éternel des mondes fut donné...

    Psappha revit, par la vertu des harmonies.

     

    Nous savons effleurer d'un baiser de velours,

    Et nous savons étreindre avec des fougues blêmes;

    Nos caresses sont nos mélodieux poèmes...

    Notre amour est plus grand que toutes les amours.

     

    Nous redisons ces mots de Psappha, quand nous sommes

    Rêveuses sous un ciel illuminé d'argent:

    "O belles, envers vous mon coeur n'est point changeant..."

    Celles que nous aimons ont méprisé les hommes.

     

    Nos lunaires baisers ont de pâles douceurs,

    Nos doigts ne froissent point le duvet d'une joue,

    Et nous pouvons, quand la ceinture se dénoue,

    Etre tout à la fois des amants et des sœurs.

     

    Le désir est en nous moins fort que la tendresse.

    Et cependant l'amour d'une enfant nous dompta

    Selon la volonté de l'âpre Aphrodita,

    Et chacune de nous demeure sa prêtresse.

     

    Psappha revit et règne en nos corps frémissants;

    Comme elle, nous avons écouté la sirène,

    Comme elle encore, nous avons l'âme sereine,

    Nous qui n'entendons point l'insulte des passants.

     

    Ferventes, nous prions: "Que la nuit soit doublée

    Pour nous dont le baiser craint l'aurore, pour nous

    Dont l'Erôs mortel a délié les genoux,

    Qui sommes une chair éblouie et troublée..."

     

    Et nos maîtresses ne sauraient nous décevoir,

    Puisque c'est l'infini que nous aimons en elles...

    Et, puisque leurs baisers nous rendent éternelles,

    Nous ne redoutons point l'oubli dans l'Hadès noir.

     

    Ainsi, nous les chantons, l'âme sonore et pleine.

    Nos jours sans impudeur, sans crainte ni remords,

    Se déroulent, ainsi que de larges accords,

    Et nous aimons, comme on aimait à Mytilène.

     

     

    Renée VIVIEN - A l'Heure des Mains jointes - 1906


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires