•  

    Ma Douce, entrons dans le jardin abandonné,

    Dans le jardin sauvage, exquis et funéraire

    Où l'autrefois se plaît à rôder, solitaire

    Et farouche, tel un vieux roi découronné.

     

    Entrons dans le jardin qu'un vent d'automne accable,

    Où le silence est lent comme une femme en deuil,

    Où les ronces d'hier font un mauvais accueil

    A qui n'apporte point le regret adorable.

     

    Dans le jardin où nul ne promène jamais

    Son importun loisir et sa mélancolie,

    Parmi les fleurs sans fraîche odeur et qu'on oublie,

    Taisons-nous, comme au temps lointain où je t'aimais.

     

    Assises toutes deux, amèrement lassées,

    Sous les vieux murs que les brouillards lents font moisir,

    Et n'ayant plus en nous l'espoir ni le désir,

    Evoquons la douceur des tristesses passées.

     

    Ici, les jeunes pas se font irrésolus,

    Ici, l'on marche avec des fatigues d'esclave

    En goûtant ce qu'il est de tristement suave

    A sourire en passant à ce qu'on n'aime plus.

     

    Puisque ici l'herbe seule est folle et vigoureuse,

    Attardons-nous et rassemblons nos souvenirs.

    Te souviens-tu des soirs dorés, des longs loisirs,

    Et des contentements de ton coeur d'amoureuse?

     

    O mon amour! quel beau passé nous fut donné

    Cependant! Respirons sa bonne odeur de rose

    Dans ce jardin où le souvenir se repose,

    Dans le calme du beau jardin abandonné...

     

    Renée Vivien


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    Oui, je le crois, je suis calme, je suis heureuse.

    L'aube a dû rafraîchir mes tempes de fiévreuse.

     

    Viens, je te conterai mon passé, si tu veux.

    Et je te parlerai d'abord de ses cheveux.

     

    Ses cheveux la nimbaient, virginale auréole.

    Elle ne savait pas que la douceur console.

     

    Ses cheveux blonds étaient plus pâles qu'un reflet,

    Et je l'ai poursuivie ainsi qu'un feu follet.

     

    Ecoute. Tu le sais, ô charme de mes heures!

    Les premières amours ne sont pas les meilleures.

     

    Cet irritant baiser qui me rongeait la chair

    Mordait plus âprement que le sel de la mer.

     

    Ton rêve se marie au mien lorsque je pense,

    Et jamais je ne fus tranquille en sa présence.

     

    Flatteuse, elle savait m'entourer de ses bras,

    Mais bientôt je compris qu'elle ne m'aimait pas.

     

    Et je sus m'arracher au piège de sa grâce.

    J'ai pleuré très longtemps... Malgré soi l'on se lasse.

     

    Ma vie était pareille aux printemps défleuris.

    Je me suis dit un soir: "Mes yeux se sont taris."

     

    Ainsi, je reconnus que son coeur était double,

    Si bien qu'enfin je pus la contempler sans trouble.

     

    J'évoque sans regret ces beaux jours très anciens,

    Plus menteurs et plus doux que les songes païens.

     

    Car ici je me crée une âme nonchalante,

    Et l'instant fuit, ayant les pieds blancs d'Atalante.

     

    Avec un langoureux bonheur je me détends...

    O charme de tes yeux, des parfums et du temps!

     

    Il me semble que j'ai parlé dans le délire

    Tout à l'heure... Oublions ce que je viens de dire.

     

    Renée Vivien


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    Les nuages flottants déroulaient leur écharpe

    Dans le ciel pur, de la couleur des fleurs de lin.

    J'étais fervente et jeune et j'avais une harpe.

    Le monde se parait, suave et féminin.

     

    Dans la forêt, des gris violets d'amarante

    Réjouissaient mes yeux large ouverts. J'entendais

    Rire en moi, comme au fond d'un passé, l'âme errante

    Et le coeur musical des pâtres irlandais.

     

    La sève m'emplissait d'une multiple ivresse

    Et je buvais ce vin merveilleux, à longs traits.

    Ainsi j'errais, portant ma harpe et sa promesse,

    Et je ne savais pas quel trésor je portais.

     

    Un matin, je suivis des hommes et des femmes

    Qui marchaient vers la ville aux toits bleus. J'ai quitté

    Pour les suivre les bois pleins d'ombres et de flammes

    Et j'ai porté ma harpe à travers la cité.

     

    Puis, j'ai chanté debout sur la place publique

    D'où montait une odeur de poisson desséché,

    Mais, dans l'enivrement de ma propre musique,

    Je ne percevais point la rumeur du marché.

     

    Car je me souvenais que les arbres très sages

    M'avaient parlé, dans le silence des grands bois.

    A mon entour sifflaient les âpres marchandages

    Mêlés aux quolibets des compères sournois.

     

    Dans la foule criant son aigre convoitise

    Une femme me vit et me tendit la main,

    Mais, emportée ailleurs par l'appel d'une brise,

    Celle-là disparut au tournant du chemin.

     

    Je chantais franchement: ainsi chantent les pâtres.

    Autour de moi, le bruit de la ville cessait,

    Et, comme le couchant jetait ses lueurs d'âtres,

    Je vis que j'étais seule et que le jour baissait.

     

    Je me mis à chanter sans témoins, pour la joie

    De chanter, comme on fait lorsque l'amour vous fuit,

    Lorsque l'espoir vous raille et que l'oubli vous broie.

    La harpe se brisa sous mes mains, dans la nuit.

     

    Renée Vivien


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    Je t'aime d'être faible et câline en mes bras

    Et de chercher le sûr refuge de mes bras

    Ainsi qu'un berceau tiède où tu reposeras.

     

    Je t'aime d'être rousse et pareille à l'automne,

    Frêle image de la Déesse de l'automne

    Que le soleil couchant illumine et couronne.

     

    Je t'aime d'être lente et de marcher sans bruit

    Et de parler très bas et de haïr le bruit,

    Comme l'on fait dans la présence de la nuit.

     

    Et je t'aime surtout d'être pâle et mourante,

    Et de gémir avec des sanglots de mourante,

    Dans le cruel plaisir qui s'acharne et tourmente.

     

    Je t'aime d'être, ô soeur des reines de jadis,

    Exilée au milieu des splendeurs de jadis,

    Plus blanche qu'un reflet de lune sur un lys...

     

    Je t'aime de ne point t'émouvoir, lorsque blême

    Et tremblante je ne puis cacher mon front blême,

    O toi qui ne sauras jamais combien je t'aime!

     

    Renée Vivien


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                                    A Paule Riversdale,

    En souvenir d'une épigraphe de "l'Etre Double".

     

       Sweet for a little even to fear, and sweet,

       O love, to lay down fear at love's fair feet,

       Shall not some fiery memory of his breath

       Lie sweet on lips that touch the lips of death?

       Yet leave me not; yet, if thou wilt, be free;

       Love me no more, but love my love of thee.

       Love where thou wilt, and live thy life, and I,

       One thing I can end, one love cannot - die.

     

       ... Yet once more ere thou hate me, one full kiss;

       Keep other hours for others, save me this...

       ... Why am I fair at all before thee, why

       At all desired? seeing thou art fair, not I.

       I shall be glad of thee, O fairest head,

       Alive, alone, without thee, living, dead...

     

                   Swinburne: Poems and Ballads, Erotion.

     

     

    Se peut-il que je sois chérie et désirée,

    Douce, puisque toi seule es belle et non point moi?

    Je te supplie, avec les ferveurs de ma foi,

    Les bras chargés des fleurs que ton sourire agrée...

     

    Oui, pourquoi suis-je belle à tes yeux? Et pourtant

    Ne m'abandonne point... Si tu le veux, sois libre,

    Mais garde-moi ce rire où l'âme flotte et vibre,

    Ce regard, et ce geste à demi consentant...

     

    Ne me contemple point, puisque toi seule es belle.

    Douce, ne m'aime point, mais aime mon amour

    Impétueux et sombre ainsi qu'au premier jour

    Où je m'abîmai toute en l'extase cruelle.

     

    Cependant, une fois encore, comme hier,

    Maîtresse, accorde-moi le baiser de ta bouche.

    Je me réjouirai de toi dans un farouche

    Cri nuptial, dans un chant de triomphe amer.

     

    Je saurai me taire, ô le plus beau des visages!

    Je ne pleurerai point, si tel est ton vouloir.

    Nous marcherons, les pas accordés vers le soir,

    Plus graves au milieu des monts tristes et sages.

     

    Vivante ou morte, je me souviendrai de toi,

    De tes lèvres et du clair dessin de tes joues,

    Du mouvement suave et lent dont tu dénoues

    Tes cheveux, de ton col, de tes seins en émoi.

     

    Si tu le veux, prodigue à d'autres d'autres heures,

    Ma Maîtresse! mais garde-moi cette heure-ci,

    Epanouie ainsi qu'une grenade, ainsi

    Qu'une rose, quand de ton souffle tu l'effleures.

     

    Il est doux, pour un peu de temps, avant la mort,

    O chère! de trembler, d'espérer et de craindre;

    Il est doux, ayant bu l'extase, de s'éteindre

    Avec lenteur, ainsi qu'un automnal accord...

     

    Renée Vivien


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