•  

     

    Si le Seigneur penchait son front sur mon trépas,

    Je lui dirais: " O Christ, je ne te connais pas.

     

    " Seigneur, ta stricte loi ne fut jamais la mienne,

    Et je vécus ainsi qu'une simple païenne.

     

    " Vois l'ingénuité de mon cœur pauvre et nu.

    Je ne te connais point. Je ne t'ai point connu.

     

    " J'ai passé comme l'eau, j'ai fui comme le sable.

    Si j'ai péché, jamais je ne fus responsable.

     

    " Le monde était autour de moi, tel un jardin.

    Je buvais l'aube claire et le soir cristallin.

     

    " Le soleil me ceignit de ses plus vives flammes,

    Et l'amour m'inclina vers la beauté des femmes.

     

    " Le ciel, d'un bleu velours, s'étalait comme un dais...

    Une vierge parut sur mon seuil. J'attendais.

     

    " La nuit tomba... Puis le matin nous a surprises

    Maussadement, de ses maussades lueurs grises.

     

    " Et dans mes bras qui la pressaient, elle a dormi

    Ainsi que dort l'amante aux bras de son ami.

     

    " Depuis lors, j'ai vécu dans le trouble d'un rêve,

    Toute une éternité dans la minute brève.

     

    " Elle était belle, avec des yeux glauques et froids,

    Et j'aimai cette femme, au mépris de tes lois.

     

    " Comme je ne cherchais que l'amour, obsédée

    Par un regard, les gens de bien m'ont lapidée.

     

    " Ceux-là qui s'indignaient de voir mon front serein

    Espéraient me courber sous leur pesant dédain.

     

    " Mais, comme je naquis douloureusement fière,

    J'ai méprisé ceux-là qui me jetaient la pierre.

     

    " Et je n'écoutai plus que la voix que j'aimais,

    Ayant compris que nul ne comprendrait jamais...

     

    " Déjà la nuit approche, et mon nom périssable

    S'efface, tel un mot qu'on écrit sur le sable.

     

    " Le couchant a jailli comme un vin de pressoir...

    Nul ne murmurera mes strophes, vers le soir.

     

    " Et maintenant, Seigneur, juge-moi. Car nous sommes

    Face à face, devant le silence des hommes.

     

    " Autant que doux, l'amour me fut jadis amer,

    Et je n'ai mérité ni le ciel ni l'enfer.

     

    " J'écouterais très mal les cantiques des anges,

    Pour avoir entendu jadis des chants étranges,

     

    "Les chants de ce Lesbos dont les cœurs se sont tus...

    Et je ne saurais point célébrer tes vertus.

     

    " Je n'ai jamais tenté de révolte farouche:

    Le baiser fut le seul blasphème de ma bouche.

     

    " Laisse-moi, me hâtant vers le soir bienvenu,

    Rejoindre celles-là qui ne t'ont point connu...

     

    " J'irai, loin du troupeau de tes chastes fidèles,

    Me souvenir, parmi les chemins d'asphodèles,

     

    " Et là, parlant d'amour à celle que je vis

    Si blonde, et qui charma longtemps mes yeux ravis,

     

    " J'apprendrai que les lys sont plus beaux que les roses,

    Et que le chant a moins d'infini que les pauses...

     

    " Les yeux emplis encor du soleil trépassé,

    Nous considèrerons notre brûlant passé.

     

    " Psappha, les doigts errants sur la lyre endormie,

    S'étonnera de la beauté de mon amie,

     

    " Et la vierge de mon désir, pareille aux lys,

    Lui semblera plus blanche et plus souple qu'Atthis.

     

    " Psappha nous jettera, de sa fervente haleine,

    Les odes dont les sons charmèrent Mytilène.

     

    " Et nous préparerons les fleurs et le flambeau,

    Nous qui l'avons aimée en un siècle moins beau.

     

    " Psappha nous versera, parmi l'or et les soies

    Des couches molles, le nektar mêlé de joies.

     

    " Elle nous montrera, dans un sourire clair,

    Le verger lesbien qui s'ouvre sur la mer,

     

    " Le doux verger plein de cigales, d'où s'échappe,

    Vibrant comme une voix, le parfum de la grappe.

     

    " Nos robes ondoieront parmi les blancs péplos...

    Dika, Timas, Atthis, Eranna de Télos...

     

    " Nous verrons les seins nus d'une prêtresse brune

    Qui mènera les chœurs dansants au clair de lune...

     

    " O Christ que l'on redoute à l'heure du trépas,

    Je ne t'ai point connu. Je ne te connais pas.

     

    " Je te l'ai dit: je fus une simple païenne.

    Laisse-moi me hâter vers la douceur ancienne,

     

    " Et puisque enfin l'instant de ma mort est venu,

    Retrouver celles-là qui ne t'ont point connu.

     

     

    Renée VIVIEN - A l'Heure des Mains jointes - 1906


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  •  

     

    Si le Seigneur penchait son front sur notre cas,

    Je lui dirai que je veux rester avec toi,

     

    Que tu es tout pour moi, Pauline, que je t'aime...

    Il sait combien ces mots ne sont pas un blasphème.

     

    Qu'y a t'il de plus beau, dites-moi, que l'amour?

    Celle qui me l'inspire est mienne pour toujours,

     

    Comme je suis à elle aussi, infiniment...

    Nous avons toujours eu les mêmes sentiments.

     

    Sans elle vraiment que m'importerait le ciel,

    Et que ferai-je donc d'une vie éternelle?

     

    Sans elle je ne pourrai trouver le bonheur.

    Ô Dieu, pardonnez-moi, aimant mon âme sœur,

     

    De lui appartenir, plus qu'à vous, corps et âme,

    En sachant que mon âme sœur est une femme.

     

    Mais nous continuerons à être vos apôtres

    Sans nous préoccuper du jugement des autres.

     

    Regroupant toutes celles qui sont comme nous,

    Nous vous servirons Dieu et, ce, même à genoux.

     

    Et ensemble, elle et moi, nous vous servirons mieux,

    Notre force sera multipliée par deux.

     

    L.


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    Vous n'avez point voulu m'écouter... Mais qu'importe?

    O vous dont le courroux vertueux s'échauffa

    Lorsque j'osai venir frapper à votre porte,

    Vous ne cueillerez point les roses de Psappha.

     

    Vous ne verrez jamais les jardins et les berges

    Où résonna l'accord puissant de son paktis,

    Et vous n'entendrez point le chœur sacré des vierges,

    Ni l'hymne d'Eranna ni le sanglot d'Atthis.

     

    Quand à moi, j'ai chanté... Nul écho ne s'éveille

    Dans vos maisons aux murs chaudement endormis.

    Je m'en vais sans colère et sans haine, pareille

    A ceux-là qui n'ont point de parents ni d'amis.

     

    Je ne suis point de ceux que la foule renomme,

    Mais de ceux qu'elle hait... Car j'osai concevoir

    Qu'une vierge amoureuse est plus belle qu'un homme,

    Et j'ai cherché des yeux de femme au fond du soir.

     

    O mes chants! nous n'aurons ni honte ni tristesse

    De voir nous mépriser ceux que nous méprisons...

    Et ce n'est plus à la foule que je m'adresse...

    Je n'ai jamais compris les lois ni les raisons...

     

    Allons-nous-en, mes chants dédaignés et moi-même...

    Que nous importent ceux qui n'ont point écouté?

    Allons vers le silence et vers l'ombre que j'aime,

    Et que l'oubli nous garde en son éternité...

     

     

    Renée VIVIEN - A l'Heure des Mains jointes - 1906


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    Vous qui n'avez pas su l'écouter, en son nom

    Je reviens pour vous dire qu'elle est toujours là,

    Qu'en le vôtre je lui ai demandé pardon

    Bien que pensant que vous ne le méritiez pas.

     

    Aujourd'hui je ne sais si ce n'est pas bien pire.

    Personne ne comprend: tous envieux ou jaloux

    De cet amour si pur qu'ils ne peuvent détruire,

    De ces sentiments forts qui persistent entre nous.

     

    Ils croient que j'ai sombrée dans la schizophrénie,

    Mais leur dur jugement ne m'importune pas,

    Je les laisse parler, parfois même j'en ris...

    Qu'ils restent dans l'ignorance, et moi dans tes bras...

     

    Au creux de l'ombre, retrouvons-nous, silencieuses,

    Eloignons-nous donc d'eux, allons bien loin de tout,

    Aimons-nous, aimons-nous et rendons-nous heureuses...

    C'est là tout ce qui nous importe, je l'avoue,

     

    Refondre nos auras débordantes d'amour

    Dans cette dimension qu'ils ne connaissent pas.

    Ils ne cueilleront point, comme moi un beau jour,

    Dans nos jardins, nos divines roses...

                                                            Psappha.

     

    L.


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  •  

     

    Je t'ai possédée, ô fille de Kuprôs!

    Pâle, je servis ta volupté cruelle...

    Je pris, aux lueurs du flambeau d'Hespérôs,

                            Ton corps d'immortelle.

     

    Et ma chair connut le soleil de ta chair...

    J'étreignis la flamme et l'ombre et la rosée,

    Ton gémissement mourait comme la mer

                            Lascive et brisée.

     

    Mortelle, je bus dans la coupe des Dieux,

    J'écartai l'azur ondoyant de tes voiles...

    Ma caresse fit agoniser tes yeux

                            Sur ton lit d'étoiles...

     

    Depuis, c'est en vain que la nuit de Lesbôs

    M'appelle, et que l'or du paktis se prolonge...

    Je t'ai possédée, ô fille de Kuprôs,

                            Dans l'ardeur d'un songe.

     

     

    Renée VIVIEN - Sapho - 1903


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