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    Vous pour qui j'écrivis, ô belles jeunes femmes!

    Vous que, seules, j'aimais, relirez-vous mes vers

    Par les futurs matins neigeant sur l'univers,

    Et par les soirs futurs de roses et de flammes?

     

    Songerez-vous, parmi le désordre charmant

    De vos cheveux épars, de vos robes défaites:

    "Cette femme, à travers les sanglots et les fêtes,

    A porté ses regards et ses lèvres d'amants."

     

    Pâles et respirant votre chair embaumée,

    Dans l'évocation magique de la nuit,

    Direz-vous: " Cette femme eut l'ardeur qui me fuit...

    Que n'est-elle vivante! Elle m'aurait aimée..."

     

    Renée Vivien


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    Non! par les soirs futurs de roses et de flammes,

    Mystérieux ainsi que les temples hindous,

    Nul ne saura mon nom et nulle d'entre vous

    Ne redira mes vers, ô belles jeunes femmes!

     

    Nulle de vous n'aura le caprice charmant

    De regretter l'amour d'une impossible amie,

    Et d'appeler tout bas, désireuse et blêmie,

    L'impérieux baiser de mes lèvres d'amant.

     

    Vous chercherez l'amour, fraîches et parfumées,

    Tournant vers l'avenir vos pas irrésolus,

    Et nulle d'entre vous ne se souviendra plus

    De moi, qui vous aurais si gravement aimées...

     

    Renée Vivien


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    Pendant longtemps, je fus clouée au pilori,

    Et des femmes, voyant que je souffrais, ont ri.

     

    Puis, des hommes ont pris dans leurs mains une boue

    Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.

     

    Les pleurs montaient en moi, houleux comme des flots,

    Mais mon orgueil me fit refouler mes sanglots.

     

    Je les voyais ainsi, comme à travers un songe

    Affreux et dont l'horreur s'irrite et se prolonge.

     

    La place était publique et tous étaient venus,

    Et les femmes jetaient des rires ingénus.

     

    Ils se lançaient des fruits avec des chansons folles,

    Et le vent m'apportait le bruit de leurs paroles.

     

    J'ai senti la colère et l'horreur m'envahir.

    Silencieusement, j'appris à les haïr.

     

    Les insultes cinglaient, comme des fouets d'ortie.

    Lorsqu'ils m'ont détachée enfin, je suis partie.

     

    Je suis partie au gré des vents. Et depuis lors

    Mon visage est pareil à la face des morts.

     

    Renée Vivien


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    Le couchant est semblable à la mort d'un poète...

    Ah! pesanteur des ans et des songes vécus!

    Ici, je goûte en paix l'heure de la défaite,

    Car le soir pitoyable est l'ami des vaincus.

     

    Mes vers n'ont pas atteint à la calme excellence,

    Je l'ai compris, et nul ne les lira jamais...

    Il me reste la lune et le proche silence,

    Et les lys, et surtout la femme que j'aimais...

     

    Du moins, j'aurai connu la splendeur sans limite

    De la couleur, de la ligne, de la senteur...

    J'aurai vécu ma vie ainsi que l'on récite

    Un poème, avec art et tendresse et lenteur.

     

    Mes mains gardent l'odeur des belles chevelures.

    Que l'on m'enterre avec mes souvenirs, ainsi

    Qu'on enterrait avec les reines leurs parures...

    J'emporterai là-bas ma joie et mon souci...

     

    Isis, j'ai préparé la barque funéraire

    Que l'on remplit de fleurs, d'épices et de nard,

    Et dont la voile flotte en des plis de suaire...

    Les rituels rameurs sont prêts... Il se fait tard...

     

    Sous la protection auguste de tes ailes,

    O Déesse! j'irai vers les prés sans avril...

    Je partirai, parmi les odes fraternelles,

    Sur un fleuve plus large et plus noir que le Nil.

     

    Et que mon coeur soit lourd dans ta juste balance,

    Lorsque j'arriverai près du trône fatal

    Où le silence noir est plein de vigilance

    Et que servent les Dieux à têtes de chacal.

     

    Isis, fais-moi rejoindre, au fond des plaines nues,

    Les poètes obscurs qui savent les affronts

    Et qui passent, chantant leurs strophes inconnues

    Dans le soir éternel qui pèse sur leurs fronts...

     

    Renée Vivien


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    Le monde est un jardin de plaisir et de mort,

    Où l'ombre sous les bleus feuillages semble attendre,

    Où la rose s'effeuille avec un bruit de cendre,

    Où le parfum des lys est volontaire et fort.

     

    Parmi les lys nouveaux et les roses suprêmes,

    Nous mêlons nos aveux à d'antiques sanglots...

    Le monde est un jardin où tout meurt, les pavots

    Et les sauges et les romarins et nous-mêmes.

     

    Des rires sont cachés partout; l'on sent courir

    Au ras du sol les pieds invisibles des brises,

    Et nous nous promenons dans ce jardin, éprises

    Et ferventes, sachant que nous devons mourir...

     

    Nous allons au hasard de nos rêves, j'effleure

    Ton col, et tes yeux sont comme un lac endormi.

    Le soleil nous regarde avec des yeux d'ami,

    Et nous ne songeons point à la fuite de l'heure.

     

    Nous marchons lentement et notre ombre nous suit...

    Le vent bruit avec un long frisson de traîne...

    Nous qui ne parlons pas de notre mort certaine,

    Avons-nous oublié l'approche de la nuit?...

     

    Renée Vivien


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