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    Dans mon âme a fleuri le miracle des roses.

    Pour le mettre à l'abri, tenons les portes closes.

     

    Je défends mon bonheur, comme on fait des trésors,

    Contre les regards durs et les bruits du dehors.

     

    Les rideaux sont tirés sur l'odorant silence,

    Où l'heure au cours égal coule avec nonchalance.

     

    Aucun souffle ne fait trembler le mimosa

    Sur lequel, en chantant, un vol d'oiseau pesa.

     

    Notre chambre paraît un jardin immobile

    Où des parfums errants viennent trouver asile.

     

    Mon existence est comme un voyage accompli,

    C'est le calme, c'est le refuge, c'est l'oubli.

     

    Pour garder cette paix faite de lueurs roses,

    O ma Sérénité! tenons les portes closes.

     

    La lampe veille sur les livres endormis,

    Et le feu danse, et les meubles sont nos amis.

     

    Je ne sais plus l'aspect glacial de la rue

    Où chacun passe, avec une hâte recrue.

     

    Je ne sais plus si l'on médit de nous, ni si

    L'on parle encor... Les mots ne font plus mal ici.

     

    Tes cheveux sont plus beaux qu'une forêt d'automne,

    Et ton art soucieux les tresse et les ordonne.

     

    Oui, les chuchotements ont perdu leur venin,

    Et la haine d'autrui n'est plus qu'un mal bénin.

     

    Ta robe verte a des frissons d'herbes sauvages,

    Mon amie, et tes yeux sont pleins de paysages.

     

    Qui viendrait nous troubler, nous qui sommes si loin

    Des hommes? deux enfants oubliés dans un coin?

     

    Loin des pavés houleux où se fanent les roses,

    Où s'éraillent les chants, tenons les portes closes...

     

    Renée Vivien


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    Parmi mes lys fanés je songe que c'est toi

    Qui me fis le plus grand chagrin d'amour, Venise!

    Tu m'as trahie autant qu'une femme et conquise

    En me prenant ma force, et mon rêve et ma foi.

     

    ... Je ne cherche plus rien dans Venise: l'ivresse

    Des beaux palais n'est plus pour moi; le chant banal

    Des gondoliers me fait haïr le Grand Canal,

    Et je n'espère plus aimer la Dogaresse.

     

    Voici mon mal: il est négligeable et profond.

    Rendue indifférente à la beauté que j'aime,

    J'erre, portant le deuil éternel de moi-même,

    Parce que je n'ai pas de lauriers à mon front.

     

    Renée Vivien


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    Le vent d'hiver s'élance, audacieux et fort,

    Ainsi que les Vikings aux splendides colères.

    La tempête a soufflé sur les pins séculaires,

    Et les flots ont bondi... Venez, mes Dieux du Nord!

     

    Vos yeux ont le reflet des lames boréales,

    Les abîmes vous sont de faciles chemins,

    Et vous êtes grands et sveltes comme les pins,

    O maîtres des cieux froids et des races loyales!

     

    Mes Dieux du Nord, hardis et blonds, réveillez-vous

    De votre long sommeil dans les neiges hautaines,

    Et faites retentir vos appels sur les plaines

    Où se prolonge au soir le hurlement des loups!

     

    Venez, mes Dieux du Nord aux faces aguerries,

    Toi, notre père Odin, toi dont les cheveux d'or,

    Freya, sont pleins d'odeurs, et toi, valeureux Thor,

    Toi, Fricka volontaire, et vous, mes Valkyries!

     

    Ecoutez-moi, mes Dieux, pareils aux clairs matins!

    Je suis la fille de vos Skaldes vénérables,

    De ceux qui vous louaient, debout auprès des tables

    Où les héros buvaient l'hydromel des festins.

     

    Venez, mes Dieux puissants! Car notre hiver est proche,

    Nous allons rire avec les joyeux ouragans,

    Nous abattrons le chêne épargné par les ans,

    Et les monts trembleront jusqu'en leur coeur de roche!

     

    Nous poserons nos pieds triomphants sur les mers,

    Et nous réjouirons de la danse des vagues;

    Pour nous s'animeront les brumes, formes vagues,

    Et pour nous brilleront les sillons de l'éclair.

     

    Les mouettes crieront vers nous et vers l'orage

    Que nous apporterons dans le creux de nos mains.

    Nous entendrons le choc des combats surhumains

    Et le cri des vaincus sur le blême rivage.

     

    Voici, mes Dieux, que vous riez comme autrefois

    Et que l'aigle tournoie au-dessus de son aire!

    Nous avons déchaîné la meute du tonnerre,

    Ce terrible troupeau qui reconnaît vos voix!

     

    La terre écoutera nos farouches musiques,

    Et les cieux révoltés ploieront sous notre effort.

    Venez à moi qui vous attends, mes Dieux du Nord!

    Je suis la fille de vos Skaldes héroïques.

     

    Renée Vivien


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