•  

    Tu me comprends: je suis un être médiocre,

    Ni bon, ni très mauvais, paisible, un peu sournois.

    Je hais les lourds parfums et les éclats de voix,

    Et le gris m'est plus cher que l'écarlate ou l'ocre.

     

    J'aime le jour mourant qui s'éteint par degrés,

    Le feu, l'intimité claustrale d'une chambre

    Où les lampes, voilant leurs transparences d'ambre,

    Rougissent le vieux bronze et bleuissent le grès.

     

    Les yeux sur le tapis plus lisse que le sable,

    J'évoque indolemment les rives aux pois d'or

    Où la clarté des beaux autrefois flotte encor...

    Et cependant je suis une grande coupable.

     

    Vois: j'ai l'âge où la vierge abandonne sa main

    A l'homme que sa faiblesse cherche et redoute,

    Et je n'ai point choisi de compagnon de route,

    Parce que tu parus au tournant du chemin.

     

    L'hyacinthe saignait sur les rouges collines,

    Tu rêvais et l'Erôs marchait à ton côté...

    Je suis femme, je n'ai point droit à la beauté.

    On m'avait condamnée aux laideurs masculines.

     

    Et j'eus l'inexcusable audace de vouloir

    Le sororal amour fait de blancheurs légères,

    Le pas furtif qui ne meurtrit point les fougères

    Et la voix douce qui vient s'allier au soir.

     

    On m'avait interdit tes cheveux, tes prunelles,

    Parce que tes cheveux sont longs et pleins d'odeurs

    Et parce que tes yeux ont d'étranges ardeurs

    Et se troublent ainsi que les ondes rebelles.

     

    On m'a montrée au doigt en un geste irrité,

    Parce que mon regard cherchait ton regard tendre...

    En nous voyant passer, nul n'a voulu comprendre

    Que je t'avais choisie avec simplicité.

     

    Considère la loi vile que je transgresse

    Et juge mon amour, qui ne sait point le mal,

    Aussi candide, aussi nécessaire et fatal

    Que le désir qui joint l'amant à la maîtresse.

     

    On n'a point lu combien mon regard était clair

    Sur le chemin où me conduit ma destinée,

    Et l'on a dit: "Quelle est cette femme damnée

    Que ronge sourdement la flamme de l'enfer?"

     

    Laissons-les au souci de leur morale impure,

    Et songeons que l'aurore a des blondeurs de miel,

    Que le jour sans aigreur et que la nuit sans fiel

    Viennent, tels des amis dont la bonté rassure...

     

    Nous irons vois le clair d'étoiles sur les monts...

    Que nous importe, à nous, le jugement des hommes?

    Et qu'avons-nous à redouter, puisque nous sommes

    Pures devant la vie et que nous nous aimons?...

     

    Renée Vivien


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    La marée, en dormant, prolonge un souffle égal,

    L'âme des conques flotte et bruit sur les rives...

    Tout m'est hostile, et ma jeunesse me fait mal.

    Je suis lasse d'aimer les formes fugitives.

    Debout, je prends mon coeur où l'amour fut hier

    Si puissant, et voici: je le jette à la mer.

     

    Qu'une vague légère et dansante l'emporte,

    Que la mer l'associe à son profond travail

    Et l'entraîne à son gré, comme une chose morte,

    Qu'un remous le suspende aux branches de corail,

    Que le vouloir des vents contraires le soulève

    Et qu'il roule, parmi les galets, sur la grève.

     

    Qu'il hésite et qu'il flotte, un soir, emprisonné

    Par la longue chevelure des algues blondes,

    Que le songe de l'eau calme lui soit donné

    Dans le fallacieux crépuscule des ondes...

    Et que mon coeur, soumis enfin, tranquille et doux,

    Obéisse au vouloir du vent et des remous.

     

    Je le jette à la mer, comme l'anneau des Doges,

    L'anneau d'or que les flots oublieux ont terni,

    Et qui tomba, parmi les chants et les éloges,

    Dans le bleu transparent, dans le vert infini...

    L'heure est vaste, les morts charmantes sont en elle,

    Et je donne mon coeur à la mer éternelle.

     

    Renée Vivien


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    Ma Douce, entrons dans le jardin abandonné,

    Dans le jardin sauvage, exquis et funéraire

    Où l'autrefois se plaît à rôder, solitaire

    Et farouche, tel un vieux roi découronné.

     

    Entrons dans le jardin qu'un vent d'automne accable,

    Où le silence est lent comme une femme en deuil,

    Où les ronces d'hier font un mauvais accueil

    A qui n'apporte point le regret adorable.

     

    Dans le jardin où nul ne promène jamais

    Son importun loisir et sa mélancolie,

    Parmi les fleurs sans fraîche odeur et qu'on oublie,

    Taisons-nous, comme au temps lointain où je t'aimais.

     

    Assises toutes deux, amèrement lassées,

    Sous les vieux murs que les brouillards lents font moisir,

    Et n'ayant plus en nous l'espoir ni le désir,

    Evoquons la douceur des tristesses passées.

     

    Ici, les jeunes pas se font irrésolus,

    Ici, l'on marche avec des fatigues d'esclave

    En goûtant ce qu'il est de tristement suave

    A sourire en passant à ce qu'on n'aime plus.

     

    Puisque ici l'herbe seule est folle et vigoureuse,

    Attardons-nous et rassemblons nos souvenirs.

    Te souviens-tu des soirs dorés, des longs loisirs,

    Et des contentements de ton coeur d'amoureuse?

     

    O mon amour! quel beau passé nous fut donné

    Cependant! Respirons sa bonne odeur de rose

    Dans ce jardin où le souvenir se repose,

    Dans le calme du beau jardin abandonné...

     

    Renée Vivien


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    Oui, je le crois, je suis calme, je suis heureuse.

    L'aube a dû rafraîchir mes tempes de fiévreuse.

     

    Viens, je te conterai mon passé, si tu veux.

    Et je te parlerai d'abord de ses cheveux.

     

    Ses cheveux la nimbaient, virginale auréole.

    Elle ne savait pas que la douceur console.

     

    Ses cheveux blonds étaient plus pâles qu'un reflet,

    Et je l'ai poursuivie ainsi qu'un feu follet.

     

    Ecoute. Tu le sais, ô charme de mes heures!

    Les premières amours ne sont pas les meilleures.

     

    Cet irritant baiser qui me rongeait la chair

    Mordait plus âprement que le sel de la mer.

     

    Ton rêve se marie au mien lorsque je pense,

    Et jamais je ne fus tranquille en sa présence.

     

    Flatteuse, elle savait m'entourer de ses bras,

    Mais bientôt je compris qu'elle ne m'aimait pas.

     

    Et je sus m'arracher au piège de sa grâce.

    J'ai pleuré très longtemps... Malgré soi l'on se lasse.

     

    Ma vie était pareille aux printemps défleuris.

    Je me suis dit un soir: "Mes yeux se sont taris."

     

    Ainsi, je reconnus que son coeur était double,

    Si bien qu'enfin je pus la contempler sans trouble.

     

    J'évoque sans regret ces beaux jours très anciens,

    Plus menteurs et plus doux que les songes païens.

     

    Car ici je me crée une âme nonchalante,

    Et l'instant fuit, ayant les pieds blancs d'Atalante.

     

    Avec un langoureux bonheur je me détends...

    O charme de tes yeux, des parfums et du temps!

     

    Il me semble que j'ai parlé dans le délire

    Tout à l'heure... Oublions ce que je viens de dire.

     

    Renée Vivien


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  •  

    Les nuages flottants déroulaient leur écharpe

    Dans le ciel pur, de la couleur des fleurs de lin.

    J'étais fervente et jeune et j'avais une harpe.

    Le monde se parait, suave et féminin.

     

    Dans la forêt, des gris violets d'amarante

    Réjouissaient mes yeux large ouverts. J'entendais

    Rire en moi, comme au fond d'un passé, l'âme errante

    Et le coeur musical des pâtres irlandais.

     

    La sève m'emplissait d'une multiple ivresse

    Et je buvais ce vin merveilleux, à longs traits.

    Ainsi j'errais, portant ma harpe et sa promesse,

    Et je ne savais pas quel trésor je portais.

     

    Un matin, je suivis des hommes et des femmes

    Qui marchaient vers la ville aux toits bleus. J'ai quitté

    Pour les suivre les bois pleins d'ombres et de flammes

    Et j'ai porté ma harpe à travers la cité.

     

    Puis, j'ai chanté debout sur la place publique

    D'où montait une odeur de poisson desséché,

    Mais, dans l'enivrement de ma propre musique,

    Je ne percevais point la rumeur du marché.

     

    Car je me souvenais que les arbres très sages

    M'avaient parlé, dans le silence des grands bois.

    A mon entour sifflaient les âpres marchandages

    Mêlés aux quolibets des compères sournois.

     

    Dans la foule criant son aigre convoitise

    Une femme me vit et me tendit la main,

    Mais, emportée ailleurs par l'appel d'une brise,

    Celle-là disparut au tournant du chemin.

     

    Je chantais franchement: ainsi chantent les pâtres.

    Autour de moi, le bruit de la ville cessait,

    Et, comme le couchant jetait ses lueurs d'âtres,

    Je vis que j'étais seule et que le jour baissait.

     

    Je me mis à chanter sans témoins, pour la joie

    De chanter, comme on fait lorsque l'amour vous fuit,

    Lorsque l'espoir vous raille et que l'oubli vous broie.

    La harpe se brisa sous mes mains, dans la nuit.

     

    Renée Vivien


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