•  

    Vous n'avez point voulu m'écouter... Mais qu'importe?

    O vous dont le courroux vertueux s'échauffa

    Lorsque j'osai venir frapper à votre porte,

    Vous ne cueillerez point les roses de Psappha.

     

    Vous ne verrez jamais les jardins et les berges

    Où résonna l'accord puissant de son paktis,

    Et vous n'entendrez point le choeur sacré des vierges,

    Ni l'hymne d'Eranna ni le sanglot d'Atthis.

     

    Quant à moi, j'ai chanté... Nul écho ne s'éveille

    Dans vos maisons aux murs chaudement endormis.

    Je m'en vais sans colère et sans haine, pareille

    A ceux-là qui n'ont point de parents ni d'amis.

     

    Je ne suis point de ceux que la foule renomme,

    Mais de ceux qu'elle hait... Car j'osai concevoir

    Qu'une vierge amoureuse est plus belle qu'un homme,

    Et j'ai cherché des yeux de femme au fond du soir.

     

    O mes chants! nous n'aurons ni honte ni tristesse

    De voir nous mépriser ceux que nous méprisons...

    Et ce n'est plus à la foule que je m'adresse...

    Je n'ai jamais compris les lois ni les raisons...

     

    Allons-nous-en, mes chants dédaignés et moi-même...

    Que nous importent ceux qui n'ont point écouté?

    Allons vers le silence et vers l'ombre que j'aime,

    Et que l'oubli nous garde en son éternité...

     

    Renée Vivien


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  •  

    De la nuit chaotique un cri d'horreur s'exhale.

    Venez, nous errerons tous trois sous la rafale...

     

    Les gouffres lanceront vers nous leurs noirs appels.

    Nous passerons, ô mes compagnons éternels!

     

    L'éclair nous épouvante et la nuit nous désole...

    O vieux Lear, comme toi je suis errante et folle,

     

    Et ceux de ma famille et ceux de mes amis

    M'ont repoussée avec des outrages vomis.

     

    Comme toi, Dante, épris d'une douleur hautaine,

    Je suis une exilée au coeur gonflé de haine.

     

    En dépit du tonnerre et du froid et du vent,

    Nul n'a voulu m'ouvrir les portes du couvent...

     

    Mon père, le roi fou, mon frère, le poète,

    Voyez mes yeux et ma chevelure défaite.

     

    Des gens du peuple, en nous apercevant tous trois,

    Se signeront avec d'inconscients effrois.

     

    Malgré mes mains sans sceptre et mon front sans couronne,

    Je te ressemble, ô Lear que le monde abandonne!

     

    Malgré la pauvreté de mon obscur destin

    Et de mes vers, je te ressemble, ô Florentin!

     

    Ecoutez le tonnerre aux éclats de cymbale...

    Nous errerons jusqu'à l'aube sous la rafale.

     

    Renée Vivien


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                                        A Madame M...

     

    Le soir s'est refermé, telle une sombre porte,

    Sur mes ravissements, sur mes élans d'hier...

    Je t'évoque, ô splendide! ô fille de la mer!

    Et je viens te pleurer, comme on pleure une morte.

     

    L'air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins,

    Et tes doigts sans vigueur ont fléchi sous les bagues.

    N'as-tu point chevauché sur la crête des vagues,

    Toi qui dors aujourd'hui dans l'ombre des coussins?

     

    L'orage et l'infini qui te charmaient naguère

    N'étaient-ils point parfaits, et ne valaient-ils pas

    Le calme conjugal de l'âtre et du repas

    Et la sécurité près de l'époux vulgaire?

     

    Tes yeux ont appris l'art du regard chaud et mol

    Et la soumission des paupières baissées.

    Je te vois, alanguie au fond des gynécées,

    Les cils fardés, le cerne agrandi par le kohl.

     

    Tes paresses et tes attitudes meurtries

    Ont enchanté le rêve épais et le loisir

    De celui qui t'apprit le stupide plaisir,

    O toi qui fus jadis la soeur des Valkyries!

     

    L'époux montre aujourd'hui tes yeux, si méprisants

    Jadis, tes mains, ton col indifférent de cygne,

    Comme on montre ses blés, son jardin et sa vigne

    Aux admirations des amis complaisants.

     

    Abdique ton royaume et sois la faible épouse

    Sans volonté devant le vouloir de l'époux...

    Livre ton corps fluide aux multiples remous,

    Sois plus docile encore à son ardeur jalouse.

     

    Garde ce piètre amour, qui ne sait décevoir

    Ton esprit autrefois possédé par les rêves...

    Mais ne reprends jamais l'âpre chemin des grèves,

    Où les algues ont des rythmes lents d'encensoir.

     

    N'écoute plus la voix de la mer, entendue

    Comme un songe à travers le soir aux voiles d'or...

    Car le soir et la mer te parleraient encor

    De ta virginité glorieuse et perdue.

     

    Renée Vivien


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    Viens, les heures d'amour sont furtives et rares...

    Le jardin matinal est plein d'oiseaux bizarres.

     

    Chère, je te convie à ce royal festin.

    Je ne veux pas jouir seule de ce matin.

     

    L'aube heurte le ciel comme une porte close.

    Viens boire la rosée au coeur blond de la rose.

     

    Bois la rosée ainsi qu'une fraîche liqueur,

    Mon coeur est une rose et je t'offre mon coeur...

     

    L'aube a des tons de nacre et des reflets de perle.

    La joie est simple et rien n'est aussi beau qu'un merle.

     

    Savourons cette ardeur un peu triste et pleurons

    De sentir la clarté première sur nos fronts.

     

    Viens, ma très chère... A l'est le ciel fardé chatoie,

    L'herbe est douce aux pieds nus comme un tapis de soie...

     

    Sans nous préoccuper de l'hostile destin,

    Rendons grâces au ciel clément pour ce matin.

     

    Renée Vivien


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    Je t'adore, Dieu pauvre entre les Immortels,

    Et j'ai tressé pour toi ces roses purpurines,

    Parce que tu n'as point de temples ni d'autels,

    Et que nul tiède encens ne flatte tes narines.

     

    Nul ne te craint et nul n'implore ta bonté...

    Ceux qui t'honorent sont pauvres, car tu leur donnes,

    Ayant ouvert tes mains vides, la pauvreté;

    Et ton souffle est plus froid que celui des automnes.

     

    Moi qui subis l'affront et le courroux des forts,

    Je t'apporte, Dieu pauvre et triste, ces offrandes:

    Des violettes que je cueillis chez les morts

    Et des fleurs de tabac, qui s'ouvraient toutes grandes...

     

    Dans un coffret de jade aux fermoirs de cristal,

    Dieu pauvre, je t'apporte humblement mon coeur sombre,

    Car je ne sais aimer que ce qui me fait mal,

    Eprise d'un fantôme et de l'ombre d'une ombre...

     

    Je ne demande rien à ta Divinité

    Sans parfums et que nul prêtre n'a reconnue...

    Nul roi n'a jamais craint de t'avoir irrité

    Et n'a pleuré devant ta châsse froide et nue.

     

    Mais moi qui hais la foule à l'entour des autels,

    Moi qui raille l'espoir cupide des prières,

    Je te consacre, ô le plus doux des Immortels,

    Ce chant pieux fleuri sur mes lèvres amères.

     

    Renée Vivien


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