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                                    Pour une amie solitaire et triste.

     

    Ton âme, c'est la chose exquise et parfumée

    Qui s'ouvre avec lenteur, en silence, en tremblant,

    Et qui, pleine d'amour, s'étonne d'être aimée.

    Ton âme, c'est le lys, le lys divin et blanc.

     

    Comme un souffle des bois remplis de violettes,

    Ton souffle rafraîchit le front du désespoir,

    Et l'on apprend de toi les bravoures muettes.

    Ton âme est le poème, et le chant, et le soir.

     

    Ton âme est la fraîcheur, ton âme est la rosée,

    Ton âme est ce regard bienveillant du matin

    Qui ranime d'un mot l'espérance brisée...

    Ton âme est la pitié finale du destin.

     

    Renée Vivien


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                              La lune s'est couchée, ainsi que les Pléiades;

                              il est minuit, l'heure passe, et je dors solitaire.

                                                                                    Psappha.

     

    L'ombre se drapait en des voiles de veuves,

    La mer aspirait le sang tiède des fleuves,

    L'Aphrodita blonde au regard décevant

                     Riait en rêvant.

     

    J'entendis gémir, au profond de l'espace,

    Celle qui versa la strophe ardente et lasse,

    Et dont le laurier fleurit et triompha,

                     La pâle Psappha.

     

    "Le rossignol râle et frémit par saccades,

    Et l'ombre engloutit la lune et les Pléiades:

    L'heure sans espoir et sans extase fuit

                     Au sein de la nuit.

     

    "Parmi les parfums glorieux de la terre,

    Je rêve d'amour et je dors solitaire,

    O vierge au beau front pétri d'ivoire et d'or

                     Que je pleure encor!"

     

    Renée Vivien


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    Nul n'a mêlé ses pleurs au souffle de ma bouche,

    Nul sanglot n'a troublé l'ivresse de ma couche,

    J'épargne à mes amants les rancoeurs de l'amour.

     

    J'écarte de leur front la brûlure du jour,

    J'éloigne le matin de leurs paupières closes,

    Ils ne contemplent pas l'accablement des roses.

     

    Seule je sais donner des nuits sans lendemains.

     

    Je sais les strophes d'or sur le mode saphique,

    J'enivre de regards pervers et de musique

    La langueur qui sommeille à l'ombre de mes mains.

     

    Je distille les chants, l'énervante caresse

    Et les mots d'impudeur murmurés dans la nuit.

    J'estompe les rayons, les senteurs et le bruit.

     

    Je suis la tendre et la pitoyable Maîtresse.

     

    Car je possède l'art des merveilleux poisons,

    Insinuants et doux comme les trahisons

    Et plus voluptueux que l'éloquent mensonge.

     

    Lorsque, au fond de la nuit, un râle se prolonge

    Et se mêle à la fuite heureuse d'un accord,

    J'effeuille une couronne et souris à la Mort.

     

    Je l'ai domptée ainsi qu'une amoureuse esclave.

    Elle me suit, passive, impénétrable et grave,

    Et je sais la mêler aux effluves des fleurs

     

    Et la verser dans l'or des coupes des Bacchantes.

     

    J'éteins le souvenir importun du soleil

    Dans les yeux alourdis qui craignent le réveil

    Sous le regard perfide et cruel des amantes.

     

    J'apporte le sommeil dans le creux de mes mains.

    Seule je sais donner des nuits sans lendemains.

     

    Renée Vivien


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    Tendre à qui te lapide et mortelle à qui t'aime,

    Tu fais de l'attitude un règne de poème,

    O femme dont la grâce enfantine et suprême

    Triomphe dans la fange et les pleurs et le sang!

     

    Tu n'aimes que la main qui meurtrit ta faiblesse,

    La parole qui trompe et le baiser qui blesse,

    L'antique préjugé qui ment avec noblesse

    Et le désir d'un jour qui sourit en passant.

     

    Férocité passive, hypocritement douce,

    Pour t'attirer, il faut que le geste repousse:

    Ta chair inerte appelle, en râlant, la secousse.

    Tu n'as que le respect du geste triomphant.

     

    Esclave du hasard, des choses et de l'heure,

    Etre ondoyant en qui rien de vrai ne demeure,

    Tu n'accueilles jamais la passion qui pleure

    Ni l'amour qui languit sous ton regard d'enfant.

     

    Le baume du banal et le fard du factice,

    Créature d'un jour! contentent ton caprice,

    Et ton corps se dérobe entre les mains et glisse...

    Jamais tu n'entendis le cri du désespoir.

     

    Jamais tu ne compris la gravité d'un songe,

    D'un reflet dont le charme expirant se prolonge,

    D'un écho dans lequel le souvenir se plonge,

    Jamais tu ne pâlis à l'approche du soir.

     

    Renée Vivien


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    Je dormirai ce soir d'un large et doux sommeil.

    Fermez les lourds rideaux, tenez les portes closes,

    Surtout ne laissez pas pénétrer le soleil.

    Mettez autour de moi le soir trempé de roses.

     

    Posez, sur la blancheur d'un oreiller profond,

    Ces mortuaires fleurs dont le parfum obsède.

    Posez-les dans mes mains, sur mon coeur, sur mon front,

    Ces fleurs pâles, qui sont comme une cire tiède.

     

    Et je dirai très bas: "Rien de moi n'est resté.

    Mon âme enfin repose. Ayez donc pitié d'elle!

    Respectez son repos pendant l'éternité."

    Je dormirai ce soir de la mort la plus belle.

     

    Que s'effeuillent les fleurs, tubéreuses et lys,

    Et que se taise, enfin, au seuil des portes closes,

    Le persistant écho des sanglots de jadis...

    Ah! le soir infini! le soir trempé de roses!

     

    Renée Vivien


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