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    Ton rire est clair, ta caresse est profonde,

    Tes froids baisers aiment le mal qu'ils font;

    Tes yeux sont bleus comme un lotus sur l'onde,

    Et les lys d'eau sont moins purs que ton front.

     

    Ta forme fuit, ta démarche est fluide,

    Et tes cheveux sont de légers réseaux;

    Ta voix ruisselle ainsi qu'un flot perfide;

    Tes souples bras sont pareils aux roseaux,

     

    Aux longs roseaux des fleuves, dont l'étreinte

    Enlace, étouffe, étrangle savamment,

    Au fond des flots, une agonie éteinte

    Dans un nocturne évanouissement.

     

    Renée Vivien


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    Donne-moi tes baisers amers comme des larmes,

    Le soir, quand les oiseaux s'attardent dans leurs vols.

    Nos longs accouplements sans amour ont les charmes

    Des rapines, l'attrait farouche des viols.

     

    Tes yeux ont reflété la splendeur de l'orage...

    Exhale ton mépris jusqu'en ta pâmoison,

    O très chère! - Ouvre-moi tes lèvres avec rage:

    J'en boirai lentement le fiel et le poison.

     

    J'ai l'émoi du pilleur devant un butin rare,

    Pendant la nuit de fièvre où ton regard pâlit...

    L'âme des conquérants, éclatante et barbare,

    Chante dans mon triomphe au sortir de ton lit!

     

    Renée Vivien


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    Dans tes yeux les clartés trop brutales s'émoussent.

    Ton front lisse, pareil à l'éclatant vélin

    Que l'écarlate et l'or de l'image éclaboussent,

    Brûle de reflets roux ton regard opalin.

    Ton visage a pour moi le charme des fleurs mortes,

    Et le souffle appauvri des lys que tu m'apportes

    Monte vers les langueurs du soleil au déclin.

     

    Fuyons, Sérénité de mes heures meurtries,

    Au fond du crépuscule infructueux et las.

    Dans l'enveloppement des vapeurs attendries,

    Dans le soir fraternel, je te dirai très bas

    Ce que fut la beauté de la Maîtresse unique...

    Ah! cet âpre parfum, cette amère musique

    Des bonheurs accablés qui ne reviendront pas!

     

    Ainsi nous troublerons longtemps la paix des cendres.

    Je te dirai des mots de passion, et toi,

    Le rêve ailleurs et les yeux lointainement tendres,

    Tu suivras ton passé de souffrance et d'effroi.

    Ta voix aura le chant des lentes litanies

    Où sanglote l'écho des plaintes infinies,

    Et ton âme, l'essor douloureux de la Foi.

     

    Renée Vivien


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    De ta robe à longs plis flottants

    Ruissellent toutes les chimères,

    Et tu m'apportes le printemps

    Dans tes mains blondes et légères.

     

    J'ai peur de ce frisson nacré

    De tes frêles seins, je ne touche

    Qu'en tremblant à ton corps sacré,

    J'ai peur du charme de ta bouche.

     

    Je me sens grandir jusqu'aux Dieux

    Quand, sous mon orgueilleuse étreinte,

    Le doux bleu meurtri de tes yeux

    S'évanouit, fraîcheur éteinte.

     

    Mais quand, si blanche entre mes bras,

    A mon cri d'amour qui se pâme

    Tu souris et ne réponds pas,

    Tes yeux fermés me glacent l'âme...

     

    J'ai peur, - c'est le remords spectral

    Que l'extase ne saurait taire, -

    De t'avoir peut-être fait mal

    D'une caresse involontaire.

     

    Renée Vivien


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    Dalila, courtisane au front mystérieux,

    Aux mains de sortilège et de ruse, aux longs yeux

    Où luttaient le soleil, l'orage et la nuée,

    Rêvait:

                "Je suis l'esclave et la prostituée,

    La fleur que l'on effeuille au festin du désir,

    La musique d'une heure et le chant d'un loisir,

    Ce qui charme, ce qu'on enlace et qu'on oublie.

    Mon corps sans volupté se pâme et ploie et plie

    Au signe impérieux des passagers amants.

    Parmi ces inconnus qui, repus et dormants,

    Après la laide nuit dont l'ombre pleure encore,

    De leur souffle lascif souillent l'air de l'aurore,

    C'est toi le plus haï, Samson, fils d'Israël!

    Mon sourire passif répond à ton appel,

    Mon corps, divin éclair et baiser sans empreinte,

    A rempli de parfums ta détestable étreinte:

    Mais, malgré les aveux et les sanglots surpris,

    Ne crois pas que ma haine ait moins d'âpres mépris,

    Car, dans le lit léger des feintes allégresses,

    Dans l'amère moiteur des cruelles caresses,

    J'ai préparé le piège où tu succomberas,

    Moi, le contentement bestial de tes bras!

     

     

    Elle le supplia sur la couche d'ivoire:

    "Astre sanglant, dis-moi le secret de ta gloire."

     

    Mais l'amant de ses nuits sans amour lui mentit.

     

    Et la soif des vaincus la brûla sans répit.

    Elle fut le regard et l'ouïe et l'attente,

    La chaude obsession qui ravit et tourmente,

    Et, patient péril aux froids destins pareils,

    Sa vengeance épia le souffle du sommeil.

     

    Un soir que la Beauté brillait plus claire en elle,

    Par l'enveloppement de l'humide prunelle,

    Par le geste des bras défaillant et livré

    Torturé tendrement, - savamment enivré

    De souples seins, de flancs fiévreux, de lèvres lasses,

    De murmures mourants et de musiques basses,

    Sous les yeux de la femme, implacablement doux,

    Dans l'ombre et dans l'odeur de ses ardents genoux,

    Sans souvenir, cédant à l'éternelle amorce,

    L'homme lui soupira le secret de sa force.

     

    Renée Vivien


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