•  

     

    Nous ne tisserons pas les graves violettes.

    Nous ferons retentir le paktis vaste et doux

    A travers les forêts et les plaines muettes,

    Et nous arracherons les grands feuillages roux.

    - Mes compagnes, la voix large des lyres chante

                     La mort d'une Bacchante.

     

    La solitude a moins de regrets que l'amour,

    Et le sanglot est moins déchirant que le rire.

    Nous mêlerons nos bras jusqu'au déclin du jour,

    Et nous parfumerons de roses et de myrrhe

    Nos corps, où brûlera, comme un ferment divin,

                     La colère du vin.

     

    Contemple sur ton seuil de pierre, ô sombre proie

    De l'Hadès et du Styx, ô silence, ô pâleur!

    Notre douleur, pareille à l'éclat de la joie,

    Notre joie aux yeux fous, pareille à la douleur!

    Car la foule, cueillant la fleur des vignes, chante

                     La mort d'une Bacchante.

     

    Vois toute la lumière, entends l'éclat du bruit!...

    Plus tard, nous couperons nos cheveux de prêtresses,

    Dorés comme la lune, épais comme la nuit,

    Ardents comme le soir, imprégnés de caresses;

    Plus tard, nous éteindrons le suprême flambeau

                     Sur ton calme tombeau.

     

    Et nous te laisserons à l'ombre pacifique,

    Toi dont la lassitude envia le sommeil

    Du faune et du satyre accablés de musique,

    Rassasiés de fruits et repus de soleil...

    Compagnes, écoutez la pleureuse qui chante

                     La mort d'une Bacchante.

     

    Renée Vivien


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    Viens, nous pénétrerons le secret du flot clair,

    Et je t'adorerai, comme un noyé la mer.

     

    Les crabes dont la faim se repaît de chair morte

    Nous ferons avec joie une amicale escorte.

     

    Reine, je t'élevai ce palais qui reluit,

    Du débris d'un vaisseau naufragé dans la nuit...

     

    Les jardins de coraux, d'algues et d'anémones,

    N'y défleurissent point au souffle des automnes.

     

    Burlesquement, avec des rires d'arlequins,

    Nous irons à cheval sur le dos des requins.

     

    Tes yeux ressembleront aux torches de phosphore

    A travers la pénombre où ne rit point l'aurore.

     

    Je suis l'être qu'hier ton sein nu vint charmer,

    Qui ne sut point assez te haïr ni t'aimer,

     

    Que tu mangeas, ainsi que mange ton escorte,

    Les crabes dont la faim se repaît de chair morte...

     

    Viens, je t'entraînerai vers l'océan amer

    Et j'aimerai ta mort dans la nuit de la mer.

     

    Renée Vivien


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    Ta royale jeunesse a la mélancolie

    Du Nord où le brouillard efface les couleurs.

    Tu mêles la discorde et le désir aux pleurs,

    Grave comme Hamlet, pâle comme Ophélie.

     

    Tu passes, dans l'éclair d'une belle folie,

    Comme Elle, prodiguant les chansons et les fleurs,

    Comme Lui, sous l'orgueil dérobant tes douleurs,

    Sans que la fixité de ton regard oublie.

     

    Souris, amante blonde, ou rêve, sombre amant.

    Ton être double attire ainsi qu'un double aimant,

    Et ta chair brûle avec l'ardeur froide d'un cierge.

     

    Mon coeur déconcerté se trouble quand je vois

    Ton front pensif de prince et tes yeux bleus de vierge,

    Tantôt l'Un, tantôt l'Autre, et les Deux à la fois.

     

    Renée Vivien


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                                            Je t'aimais, Atthis, autrefois...

                                                                          Psappha.

     

    Je reviens chercher l'illusion des choses

    D'autrefois, afin de gémir en secret

    Et d'ensevelir notre amour sous les roses

                     Blanches du regret.

     

    Car je me souviens des divines attentes,

    De l'ombre et des soirs fébriles de jadis...

    Parmi les soupirs et les larmes ardentes,

                      Je t'aimais, Atthis!

     

    J'aimais tes cheveux tramés de clairs de lune,

    Ton corps ondoyant qui se dérobe et fuit,

    Tes yeux que l'éclat de l'aurore importune,

                     Bleus comme la nuit.

     

    J'aimais le baiser de tes lèvres amères,

    J'aimais ton baiser aux merveilleux poisons,

    Jadis! Et j'aimais tes injustes colères

                     Et tes trahisons...

     

    Atthis, aujourd'hui tu pâlis, et je passe

    Tel un exilé sans désir de retour,

    Toi, moins souriante, et moi, l'âme plus lasse,

                     Plus loin de l'amour.

     

    Voici que s'exhale et monte, avec la flamme

    Et l'essor des chants et l'haleine des lys,

    L'intime sanglot de l'âme de mon âme:

                     Je t'aimais, Atthis.

     

    Renée Vivien


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                                     Récit.

    Le soir a déchaîné des sanglots de victimes.

    Le fuyant crépuscule a la couleur du sang.

    Le Vent du Nord s'enfuit vers le large...

     

                                    Choeur.

                                                                  O passant,

    Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.

     

                                     Récit.

    Semblable au vague essor des oiseaux de la nuit,

    Une forme apparaît en traînant ses longs voiles.

    Dans ses regards se meurt le reflet des étoiles.

    Le pâtre a vu briller le fantôme qui fuit

    En murmurant: "Allons vers la gloire des cimes,

    Je te révélerai mon front éblouissant.

    Les glaciers sont moins purs que mes yeux."

     

                                    Choeur.

                                                                  O passant,

    Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.

     

                                     Récit.

    "Homme, je suis pareille au plus cher de tes voeux.

    Autour de ma beauté flottent des soupirs d'âmes,

    Et mon corps est pétri de parfums et de flammes.

    La lune sur les fjords ressemble à mes cheveux.

    Ma voix garde l'écho des voluptés intimes

    Qui traversent les soirs d'automne en frémissant,

    Et la neige est mon lit virginal..."

     

                                    Choeur.

                                                                  O passant,

    Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.

     

                                     Récit.

    La Vision blanchit le sentier triste et nu,

    Et le fervent désir du pâtre l'accompagne.

    Il foule, sans les voir, les fleurs de la montagne,

    Afin de contempler le visage inconnu.

    Aveugle, les regards brûlés d'éclairs sublimes,

    L'Amant a poursuivi son Rêve en pâlissant...

    Tous deux ont disparu dans la brume...

     

                                    Choeur.

                                                                  O passant,

    Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.

     

    Renée Vivien


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