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    Elles sont le souvenir clair

    De Celle qui mourut hier

    Et qui dort entre quatre planches,

                     Les violettes blanches.

     

    Car elle les aimait jadis,

    Et moi, je les préfère aux lys...

    J'éclairerai les tristes planches

                     De violettes blanches.

     

    Vierges entre toutes les fleurs,

    Elles ont d'intenses pâleurs...

    Parez la nuit des mornes planches

                     De violettes blanches.

     

    Ainsi fut Celle que j'aimais,

    Qui ne refleurira jamais...

    Un peu de cendre et quatre planches,

                     Des violettes blanches.

     

    Renée Vivien


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    Les yeux fixes et las devant l'éternité,

    Blême d'avoir connu l'épouvante des mondes,

    Merwynn songe... Un visage aux paupières profondes

    Le contemple à travers les feuillages d'été.

    L'amour, comme un parfum plein de poisons, émane

                     Du corps de Viviane.

     

    Des marbres violets et des infinis bleus

    Ruissellent la tiédeur, et l'ombre et l'harmonie.

    La lumière se meurt dans l'étreinte infinie

    D'un lascif crépuscule aux reflets onduleux.

    Voici que se rapproche, à pas lents, diaphane

                     Et longue, Viviane.

     

    "Je te plains, ô Penseur dont le regard me fuit,

    Car tu n'as point connu, toi qui vois toutes choses,

    La pâleur des pavots et le rire des roses,

    L'ardeur et la langueur des lèvres dans la nuit.

    Pourquoi railler et fuir la volupté profane,

                     L'appel de Viviane?"

     

    Et Merwynn répondit: "Ma passive raison

    Subit le charme aigu du mensonge et l'ivresse

    Du péril. Ton accent persuade et caresse,

    Modulant avec art l'exquise trahison.

    Entre tes doigts cruels un lys meurtri se fane,

                     Perfide Viviane.

     

    "Que le soleil d'amour qui ressemble au trépas

    M'emprisonne à jamais sous le réseau du rêve,

    Esclave du baiser à la blessure brève,

    Du frôlement des mains, de l'étreinte des bras

    Insinuants et frais ainsi qu'une liane,

                     Des bras de Viviane!"

     

    Le soir et la forêt recueillent le soupir

    De l'Enchanteur vaincu par l'appel de l'Amante.

    Il voit, tandis qu'au loin le fleuve se lamente,

    Les yeux d'or des oiseaux nocturnes refleurir...

    Et, triomphal parmi les astres, brûle et plane

                     L'astre de Viviane.

     

    Renée Vivien


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    Gellô fut autrefois une vierge aux cheveux

    Plus doux que le reflet de la lune sur l'onde,

    Et mourut sans frémir de l'angoisse profonde,

    Sans avoir connu le mensonge des aveux.

    Elle hait le désir qui profane l'Epouse,

    Elle erre dans la nuit, inquiète et jalouse.

     

    Elle cueille la fleur des bouches sans baisers,

    Car elle aime d'amour les vierges aux seins frêles

    Et les emporte au loin sur un lit d'asphodèles

    Où traînent longuement les sanglots apaisés.

    Tu ne connaîtras point les effrois de l'Epouse,

    O vierge! car voici Gellô pâle et jalouse.

     

    Bacchante de la Mort ivre de chasteté,

    Elle te parera de violettes blanches,

    Des jeunes frondaisons et des premières branches.

    Elle t'entourera d'un printemps sans été...

    Tu ne connaîtras point les réveils de l'Epouse,

    O vierge! car voici Gellô pâle et jalouse...

     

    Renée Vivien


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    J'aime la boue humide et triste où se reflète

    Le merveilleux frisson des astres, où le soir

    Revient se contempler ainsi qu'en un miroir

    Qui découvre à demi son image incomplète.

     

    J'aime la boue humide où la Ville inquiète

    Détache ses lueurs, blondes sur un fond noir,

    La Ville qui gémit sous un masque d'espoir

    Parmi le vin, les chants et les cris de la fête.

     

    Elle endure la foule aux pieds traînant et las.

    Elle subit l'empreinte anonyme des pas:

    Saignante, elle croupit sur la route inféconde.

     

    Mais elle est l'Avenir des moissons, et les pleurs

    Du printemps en feraient une terre profonde,

    D'où jaillirait la grâce irréelle des fleurs.

     

    Renée Vivien


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                                    Lilith.

     

    D'ombres et de démons je peuplai l'univers.

    Avant Eve, je fus la lumière du monde

    Et j'aimai le Serpent tentateur et pervers.

    Je conçus l'Irréel dans mon âme profonde.

    La Terre s'inclina devant ma royauté.

    Jéhovat fit éclore à mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                     Cassiopée.

     

    Ma jeunesse, pareille aux flambeaux de l'autel,

    Brûlait mystérieuse et chaste sous les voiles.

    Les Dieux m'ont épargné le sépulcre mortel,

    Mon trône éblouissant étonne les étoiles.

    Dans la pourpre du ciel brille ma royauté.

    L'éternité fixa sur mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                     Rhodopis.

     

    Mon visage de rose ardente triompha,

    Moins glorieux d'avoir créé les Pyramides

    Que d'avoir attiré les lèvres de Psappha.

    Mes yeux égyptiens nageaient, longs et limpides.

    La Lyre de Lesbôs chanta ma royauté.

    L'Aphrodita cueillit à mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                     Bethsabée.

     

    De mon corps s'exhalaient le nard et le santal.

    La splendeur d'Israël éclairait mon visage.

    J'ai vécu la langueur d'un rêve oriental,

    Le meurtre et le désir riaient sur mon passage.

    Le péril consacra ma blanche royauté.

    La Mort fit resplendir à mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                    Campaspe.

     

    Alexandre, frappé de l'orgueil de ma chair,

    Voua mes seins de flamme à la gloire d'Apelle,

    Afin que mon été ne connût point l'hiver

    Et que l'Art me vêtît de candeur solennelle.

    L'Astarté consacra ma jeune royauté,

    L'Astarté fit brûler à mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                     Cléopatre.

     

    Je rayonnai. Je fus le sourire d'Isis,

    Insondable, illusoire et terrible comme elle.

    J'ai gardé mes parfums et mes fards de jadis,

    Mes parures et l'or de ma large prunelle.

    Le monde, que séduit encor ma royauté

    Immuable, scella sur mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                     Paulina.

     

    J'emprisonnai les pleurs des perles sur mon sein.

    Les perles ondoyaient parmi ma chevelure,

    J'aimais la pureté de leur regard serein,

    La mer les entourait de l'écho d'un murmure.

    Les perles sur mon sein firent ma royauté.

    Elles ont réfléchi sur mon sein d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                     Poppée.

     

    Je courbai l'élément et je domptai l'éclair.

    Le tonnerre à mes pieds, je régnai sur l'orage.

    J'ai connu la Luxure et son relent amer.

    - Oh! les nuits que l'horreur des voluptés ravage! -

    Vénus me couronna d'une âpre royauté,

    Vénus fit rayonner à mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                     Eléonore de Guyenne.

     

    Moi, dont le nom d'amour dissimule un parfum,

    J'allais, parmi les fleurs et les douces paroles,

    Deux bandeaux constellés sur mes cheveux d'or brun.

    Sous mes pas sanglotaient les luths et les violes.

    Les troubadours chantaient ma douce royauté,

    Et leur lais ont posé sur mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                     Elisabeth Woodville.

     

    Mon regard fut plus frais que la lune du Nord,

    D'un vert froid et voilé comme les mers anglaises.

    J'appris le goût, l'odeur, le désir de la Mort,

    La fuite, l'exil gris sur les grises falaises.

    La défaite insulta ma pâle royauté.

    Le combat fit jaillir à mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

                                      Lady Jane Grey.

     

    Les roses et le miel des vieux livres, l'assaut

    Des chants m'ont fait aimer le studieux automne.

    Mon sourire d'enfant éclaira l'échafaud.

    Sur ma douleur pesa l'accablante couronne.

    J'expiai dans le sang l'heure de royauté.

    Le Destin éteignit à mon front d'amoureuse

                     L'astre fatal de la Beauté.

                                     Je ne fus pas heureuse.

     

    Renée Vivien


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