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    C'est l'heure du réveil... Soulève tes paupières...

    Au loin la luciole aiguise ses lumières,

    Et le blême asphodèle a des souffles d'amour.

    La nuit vient: hâte-toi, mon étrange compagne,

    Car la lune a verdi le bleu de la montagne,

    Car la nuit est à nous comme à d'autres le jour.

     

    Je n'entends, au milieu des forêts taciturnes,

    Que le bruit de ta robe et des ailes nocturnes,

    Et la fleur d'aconit, aux blancs mornes et froids,

    Exhale ses parfums et ses poisons intimes...

    Un arbre, traversé du souffle des abîmes,

    Tend vers nous ses rameaux, crochus comme des doigts.

     

    Le bleu nocturne coule et s'épand... A cette heure,

    La joie est plus ardente et l'angoisse meilleure,

    Le souvenir est beau comme un palais détruit...

    Des feux follets courront le long de nos vertèbres,

    Car l'âme ressuscite au profond des ténèbres,

    Et l'on ne redevient soi-même que la nuit.

     

    Renée Vivien


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    Le charme douloureux des ébauches m'attire,

    Telles les frêles fleurs qu'une haleine meurtrit,

    Car la beauté jadis entrevue y sourit,

    Harmonieusement, de son demi-sourire.

     

    Ces visages fuyants, ces fragiles contours,

    S'estompant sur la toile irréelle du rêve,

    Ne laissent au regard qu'une vision brève

    Dont la divinité se dérobe toujours,

     

    L'ébauche étant la soeur fragile des ruines

    Qui mêlent leur tristesse et leur hantise au soir,

    Evoquant la splendeur ancienne d'un pouvoir

    Sombré dans le palais que voilent les bruines.

     

    On sent l'accablement du vouloir entravé

    Dans la ténuité morbide de l'esquisse

    Dont la grâce furtive, où le regret se glisse,

    A l'infini du vague et de l'inachevé.

     

    Renée Vivien


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                                   De Gorgô pleinement rassasiée...

                                                                    Psappha.

     

    Pourquoi revenir, les seins encore avides,

    Tournant vers mon seuil tes pas irrésolus?

    Pourquoi m'implorer, Gorgô? J'ai les mains vides

                     Et je n'aime plus.

     

    Je n'ai plus de chants, ni d'amour ni de haine,

    Je n'ai plus de fleurs à semer sous tes pas,

    Et j'entends l'appel de ta douleur lointaine

                     Sans ouvrir les bras.

     

    Tes yeux étaient verts comme l'eau de l'Egée,

    J'ai chanté le pli de tes lèvres, jadis...

    D'où vient qu'aujourd'hui tu m'apparais changée,

                     Moins belle qu'Atthis?

     

    Telle une Ménade aux lendemains d'orgie,

    Gorgô, je suis lasse à la lueur du jour.

    Et je cherche l'ombre où l'on se réfugie,

                     Sans désir d'amour...

     

    Renée Vivien


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    Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le nord,

    Affermissant leur vol pour la lutte et l'effort.

    L'air du large frissonne et souffle dans leurs ailes...

     

    Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le nord...

     

    L'air du large frissonne et souffle dans leurs ailes,

    Elles vont vers le nord aux neiges éternelles,

    L'ondoyant infini ruisselle sous leurs yeux...

     

    Elles vont vers le nord aux neiges éternelles...

     

    Elles vont vers le rêve et le charme des cieux

    Délicats et changeants comme une âme d'opale...

    Ah! les lointains voilés, la neige virginale

    Qui réfléchit l'azur atténué des cieux!

     

    Elles vont vers la brume où flottent les fantômes,

    Les pâles arcs-en-ciel, les glaciers et les dômes

    Des montagnes, les fiords aux eaux froides, l'hiver,

     

    Les roches et la brume où flottent les fantômes...

     

    Le vent du nord s'élève au profond de l'éther:

    L'odeur de l'océan est son baiser amer.

    Voici que s'affranchit et roule dans l'espace

    Le vent du nord, l'esprit glorieux de l'hiver...

     

    Et, magnifiquement ivres de l'air qui passe,

    Affermissant leur vol pour la lutte et l'effort,

    Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le Nord...

     

    Renée Vivien


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    Du ciel poli comme un miroir

    Pleuvent les langueurs enflammées,

    Et nous suivons, au coeur du soir,

    L'irréel essor des fumées.

     

    J'adore tes gestes meurtris

    Et tes prunelles embrumées...

    Tu regrettes... Dans tes yeux gris

    Passent et meurent des fumées...

     

    Renée Vivien


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