•  

    Je possède, en mes doigts subtils, le sens du monde,

    Car le toucher pénètre ainsi que fait la voix.

    L'harmonie et le songe et la douleur profonde

    Frémissent longuement sur le bout de mes doigts.

     

    Je comprends mieux, en les frôlant, les choses belles,

    Je partage leur vie intense en les touchant.

    C'est alors que je sais ce qu'elles ont en elles

    De noble, de très doux et de pareil au chant.

     

    Car mes doigts ont connu la chair des poteries,

    La chair lisse du marbre aux féminins contours

    Que la main qui les sait modeler a meurtries,

    Et celle de la perle et celle du velours.

     

    Ils ont connu la vie intime des fourrures,

    Toison chaude et superbe où l'on plonge les mains,

    Et l'odorant secret des belles chevelures

    Où la brise du soir effeuilla des jasmins.

     

    Semblables à ceux-là qui viennent des voyages,

    Mes doigts ont parcouru d'infinis horizons,

    Ils ont éclairé, mieux que mes yeux, des visages

    Et m'ont prophétisé d'obscures trahisons.

     

    Ils ont connu la peau subtile de la femme,

    Et ses frissons cruels et ses parfums sournois...

    Chair des choses! j'ai cru parfois étreindre une âme

    Avec le frôlement prolongé de mes doigts...

     

    Renée Vivien


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    Dans la pourpre et dans l'or d'un silence hautain,

    J'entends sonner ici l'heure de mon destin.

     

    Sa lamentation traverse la lumière,

    Elle sonne en pleurant, exacte et régulière.

     

    Avec la voix des sorts qui ne pardonnent pas,

    Elle annonce, elle dit et redit: tu mourras.

     

    O routes sans raisins et sans roses suivies!

    O décombres brumeux du palais de nos vies!

     

    Moi, j'ai vécu les yeux aveuglément ouverts

    Dans l'incompréhensible et terrible univers.

     

    J'ai porté la douleur des autres et la mienne,

    J'ai revêtu le deuil et chanté l'antienne,

     

    Je fus humiliée à la face des cieux,

    J'ai vu m'abandonner ce que j'aimais le mieux,

     

    Et j'ai vu m'échapper l'amour comme la gloire.

    Tout s'accomplit enfin... Sonne, ô mon heure noire!

     

    Sonne, dans le ciel gris et dans un vent mauvais,

    Et proclame d'en haut que j'ai trouvé la paix.

     

    Renée Vivien


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    Je vous admire et je vous sais indiscutable

    Autant qu'une statue en face de la mer.

    Vos regards ont ce bleu périlleux qui m'est cher,

    Vos cheveux d'or brûlé sont plus doux que le sable.

     

    Vous éclatez ainsi qu'un hymne triomphal.

    L'eurythmie elle-même a décidé vos poses.

    J'aime, pour vos cheveux, ces rubis et ces roses

    Rouges, pour votre corps ce lourd manteau ducal.

     

    Maintes et maintes fois, relisant votre face,

    Je vous admire, ainsi qu'un poème éternel.

    Vous êtes évidente à la façon du ciel,

    Gloire de votre terre et fleur de votre race.

     

    Oui, vous êtes pareille, avec la cruauté

    De vos regards d'azur, de vos hanches profondes,

    A celle qui posa ses pieds nus sur les ondes,

    Et je célèbre en vous l'implacable beauté.

     

    Vous êtes despotique, invincible, éternelle,

    Et vos caprices ont l'autorité du vent.

    Jamais nul ne dira trop haut ni trop souvent:

    Elle est belle! - Car vous êtes belle, très belle.

     

    Je vous sais belle ainsi. Pourquoi faut-il alors,

    O parfaite! qu'auprès de vous je me souvienne

    D'un visage blêmi comme une image ancienne,

    Et de pâles cheveux sans rayons et sans ors?

     

    Pourquoi faut-il que ce chant d'éloges alterne

    Avec un long sanglot sur le mode mineur,

    Qui célèbre sans fin - ainsi le veut mon coeur -

    Les yeux moins lumineux, la chevelure terne?

     

    Mes jours auprès de vous sont plus clairs et meilleurs.

    Vous n'avez jamais eu le geste qui repousse,

    Et vous êtes plus belle et vous êtes plus douce...

    Pourquoi faut-il qu'on aime ailleurs? toujours ailleurs?

     

    Renée Vivien


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    Tu veux savoir de moi le secret des sorcières?

    J'allumerai pour toi leurs nocturnes lumières,

    Et je t'apprendrai l'art très simple des sorcières.

     

    Les sorcières ne sont vivantes que la nuit.

    Elles dorment pendant le jour. Leur regard fuit,

    N'étant habitué qu'à l'ombre de la nuit.

     

    Les sorcières ont des âmes calmes et noires,

    Les astres leur sont moins étranges que les foires.

    Le feu des mondes luit en leurs prunelles noires.

     

    On les craint, on les chasse, on ne les aime pas.

    Elles ont fui l'auberge et le commun repas.

    Elles n'ont point compris, on ne les comprend pas.

     

    Cependant elles sont très simples... On doit naître...

    Pour les comprendre, il faut quelque peu les connaître

    Et savoir qu'elles ont le droit d'être et de naître...

     

    Chacun parle très haut et du bien et du mal.

    L'on sait que c'est un tort grave d'être anormal,

    Leur coeur inoffensif n'a point conçu le mal.

     

    Mais ces femmes sont les maudites étrangères.

    Car dans un monde épais leurs âmes sont légères,

    Et ses lois leur seront à jamais étrangères.

     

    Elles touchent à peine, - et si peu! le sol franc.

    Elles n'aiment que le tout noir ou le tout blanc

    Ou la nuance dont le reflet n'est pas franc.

     

    Par leurs regards, par leurs sourires équivoques,

    La pourpre sombre et l'or terne des vieilles loques

    Revêtent, sur leur corps, des splendeurs équivoques.

     

    Elles savent cacher au dur regard du jour

    Leur coeur, leur haine triste et leur si triste amour,

    Leur âme indifférente à la beauté du jour.

     

    Peu leur importe si, plus tard, enfin vaincues

    Par les pouvoirs du jour, leurs musiques vécues

    S'éteignent, ainsi qu'un faible appel de vaincues...

     

    Peu leur importe, - tout leur est indifférent,

    Car l'univers n'est qu'un luth docile qui rend,

    Selon la main, un doux sanglot indifférent.

     

    Elles vivent dans un songe las, solitaires

    Comme la lune, ayant choisi, parmi les terres,

    Celle où meurent le mieux les âmes solitaires.

     

    Renée Vivien


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                                      Et je regrette et je cherche Psappha.

     

    ... Et je regrette et je cherche ton doux baiser.

    Quelle femme saurait me plaire et m'apaiser?

    Laquelle apporterait les voluptés anciennes

    Sur des lèvres sans fard et pareilles aux tiennes?

     

    Je le sais, tu mentais, ton rire sonnait creux,

    Mais ton baiser fut lent, étroit et savoureux,

    Il s'attardait, et ce baiser atteignait l'âme,

    Car tu fus à la fois le serpent et la femme.

     

    Mais souviens-toi de la façon dont je t'aimais...

    Moi, ne suis-je plus rien dans ta chair? Si jamais

    Tu sanglotas mon nom dans l'instant sans défense,

    Souviens-toi de ce cri suivi d'un grand silence.

     

    Je ne sais plus aimer les beaux chants ni les lys

    Et ma maison ressemble aux grands nécropolis.

    Moi qui voudrais chanter, je demeure muette.

    Je désire et je cherche et surtout je regrette...

     

    Renée Vivien


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