• Supplication

     

    Sans amie et sans livre, errant au bord des eaux

    Que le soleil ranime et la lune caresse,

    Venise, je serai comme une Dogaresse

    Eprise du sommeil de tes mornes canaux.

     

    Je croirai voir passer les superbes cohortes

    Qui ne sont plus, assise en mon chagrin errant.

    O toi qui ne sais plus la fraîcheur du courant,

    Attire-moi, Venise, au fond de tes eaux mortes!

     

    Et dis à ces amants stupides de demain

    Que je les ai jugés et que je les méprise...

    O toi, la solitaire et l'altière, ô Venise!

    Enseigne le néant de ce bonheur humain.

     

    Mène vers le péril cette troupe insensée,

    Qui s'enivre du chant de tes voix, dans la nuit,

    Qui suit le mouvement de la rame qui fuit

    Sans connaître le fond très noir de ta pensée.

     

    Et dis encore, ô toi qui pèses sur les eaux!

    Funèbre comme moi, comme moi froide et sombre,

    Redis avec ma voix sans écho, ma voix d'ombre,

    Que la mort seule est douce au fond de tes canaux!

     

    Renée Vivien


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