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L'Amour borgne
Je t'aime de mon oeil unique, je te lorgne
Ainsi qu'un chinois l'opium:
Je t'aime de mon amour borgne,
Fille aussi blanche qu'un arum.
Je veux tes paupières de bistre,
Et ta voix plus lente qu'un sistre;
Je t'aime de mon oeil sinistre
Où luit la colère du rhum.
Je te suis du regard, lubrique comme un singe,
Ivre comme un ballon sans lest.
Ton âme incertaine de Sphinge
Flotte entre le zist et le zest.
Et je halette vers l'amorce
Des seins vibrants, du souple torse
Où la grâce épouse la force,
Et des yeux verts comme l'ouest.
Ton visage s'estompe à travers les courtines;
Et tu médites, un fruit sec
Entre tes lèvres florentines
Où s'apaise un sourire grec.
Je meurs de tes paroles brèves...
Je veux que de tes dents tu crèves
Mon oeil où se brouillent les rêves,
Comme un ara, d'un coup de bec.
Renée Vivien
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Commentaires
Point de vue
Je rends grâce à l'amour, qui m'a rendu aveugle,
De ne pas ressembler à ces borgnes qui beuglent,
De leur paille ou leur poutre, amputés d'un seul œil
Dont ils ne sauraient point en opérer le deuil.
Ne soyons pas plus royaliste que ces Rois,
D'une réputation mauvaise, de surcroît.
Par lèse-majesté, de tout temps, je confesse
N'avoir jamais eu d'yeux que pour toi, Ma Déesse.
Jetant sur elle un œil, je n'ai su garder l'autre,
Au vœu de demeurer à jamais son apôtre.
Qu'importe mon servage, en souverains honneurs,
A ma cause gagnée, j'en sortirai vainqueur.
La perte de la vue amplifie d'autres sens.
C'est un mal pour un bien, oui! de toute évidence!
J'y ai acquis nombre talents hors du commun,
Sans compter ce doigté d'attouchement des mains.
La perte de la vue révèle d'autres sens,
Viens profiter, veux-tu, de cette expérience.
Près de toi, ô Déesse, que m'importe à moi
Que les borgnes, en pays aveugle, soient rois!
Je remercie l'amour, qui m'a rendu aveugle,
De ne pas ressembler à ces borgnes qui beuglent
Tout à la cécité qu'ils sont de leur orgueil.
Tireront-ils un jour leçon de leur écueil?
L.