• L'Amour borgne

     

    Je t'aime de mon oeil unique, je te lorgne

          Ainsi qu'un chinois l'opium:

          Je t'aime de mon amour borgne,

          Fille aussi blanche qu'un arum.

          Je veux tes paupières de bistre,

          Et ta voix plus lente qu'un sistre;

          Je t'aime de mon oeil sinistre

          Où luit la colère du rhum.

     

    Je te suis du regard, lubrique comme un singe,

          Ivre comme un ballon sans lest.

          Ton âme incertaine de Sphinge

          Flotte entre le zist et le zest.

          Et je halette vers l'amorce

          Des seins vibrants, du souple torse

          Où la grâce épouse la force,

          Et des yeux verts comme l'ouest.

     

    Ton visage s'estompe à travers les courtines;

          Et tu médites, un fruit sec

          Entre tes lèvres florentines

          Où s'apaise un sourire grec.

          Je meurs de tes paroles brèves...

          Je veux que de tes dents tu crèves

          Mon oeil où se brouillent les rêves,

          Comme un ara, d'un coup de bec.

     

    Renée Vivien


  • Commentaires

    1
    Vendredi 16 Mai 2014 à 14:30

    Point de vue

     

    Je rends grâce à l'amour, qui m'a rendu aveugle,

    De ne pas ressembler à ces borgnes qui beuglent,

    De leur paille ou leur poutre, amputés d'un seul œil

    Dont ils ne sauraient point en opérer le deuil.

     

    Ne soyons pas plus royaliste que ces Rois,

    D'une réputation mauvaise, de surcroît.

    Par lèse-majesté, de tout temps, je confesse

    N'avoir jamais eu d'yeux que pour toi, Ma Déesse.

     

    Jetant sur elle un œil, je n'ai su garder l'autre,

    Au vœu de demeurer à jamais son apôtre.

    Qu'importe mon servage, en souverains honneurs,

    A ma cause gagnée, j'en sortirai vainqueur.

     

    La perte de la vue amplifie d'autres sens.

    C'est un mal pour un bien, oui! de toute évidence!

    J'y ai acquis nombre talents hors du commun,

    Sans compter ce doigté d'attouchement des mains.

     

    La perte de la vue révèle d'autres sens,

    Viens profiter, veux-tu, de cette expérience.

    Près de toi, ô Déesse, que m'importe à moi

    Que les borgnes, en pays aveugle, soient rois!

     

    Je remercie l'amour, qui m'a rendu aveugle,

    De ne pas ressembler à ces borgnes qui beuglent

    Tout à la cécité qu'ils sont de leur orgueil.

    Tireront-ils un jour leçon de leur écueil?

     

                                                      L.

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