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    Le feuillage s'écarte en des plis de rideaux

      Devant la Vénus des Aveugles, noire

      Sous la majesté de ses noirs bandeaux.

      Le temple a des murs d'ébène et d'ivoire

      Et le sanctuaire est la nuit des nuits.

      Il n'est plus d'odeurs, il n'est plus de bruits

    Autour de cet autel dans la nuit la plus noire.

     

    Nul n'ose imaginer le visage inconnu.

      La Déesse règne en l'ombre éternelle

      Où les murs sont nus, où l'autel est nu,

      Où rien de vivant ne s'approche d'Elle.

      Dans un temple vaste autant que les cieux

      La Déesse Noire, interdite aux yeux,

    Se retire et se plaît dans la nuit éternelle.

     

    Les Aveugles se sont traînés à ses genoux

      Pourtant, et, levant leur paupière rouge,

      Semblent adorer un dieu sans courroux,

      Et nul ne gémit et nulle ne bouge,

      Mais, dans cette extase où meurt le désir,

      Où la main se tend et n'ose saisir,

    Une larme a coulé sous la paupière rouge.

     

    Renée Vivien


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    Je hume en frémissant la tiédeur animale

    D'une fourrure aux bleus d'argent, aux bleus d'opale;

    J'en goûte le parfum plus fort qu'une saveur,

    Plus large qu'une voix de rut et de blasphème,

    Et je respire, avec une égale ferveur,

    La Femme que je crains et les Fauves que j'aime.

     

    Mes mains de volupté glissent, en un frisson,

    Sur la douceur de la Fourrure, et le soupçon

    De la bête traquée aiguise ma prunelle.

    Mon rêve septentrional cherche les cieux

    Dont la frigidité m'attire et me rappelle,

    Et la forêt où dort la neige des adieux.

     

    Car je suis de ceux-là que la froideur enivre.

    Mon enfance riait aux lumières du givre.

    Je triomphe dans l'air, j'exulte dans le vent,

    Et j'aime à contempler l'ouragan face à face.

    Je suis la fille du Nord et des Neiges, - souvent

    J'ai rêve de dormir sous un linceul de glace.

     

    Ah! la Fourrure où se complaît ta nudité,

    Où s'exaspérera mon désir irrité! -

    De ta chair qui détend ses impudeurs meurtries

    Montent obscurément les chaudes trahisons,

    Et mon âme d'hiver aux graves rêveries

    S'abîme dans l'odeur perfide des Toisons.

     

    Renée Vivien


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    O ma Maîtresse, je t'apporte,

    Funèbres comme un requiem,

    Lys noirs sur le front d'une morte,

    Les arums de Jérusalem.

     

    Ils éclosent parmi les râles

    De l'amour que l'aube détruit,

    Et les Succubes aux doigts pâles

    Ont respiré leur chair de nuit.

     

    Seule, ton âme ténébreuse

    Sut les aimer et les choisir,

    Etrange et stérile amoureuse

    Qui t'abandonne sans désir.

     

    O ma Maîtresse, je t'apporte,

    Funèbres comme un requiem,

    Lys noirs sur le front d'une morte,

    Les arums de Jérusalem.

     

    Renée Vivien


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    Vois, tandis que gauchit la bruine sournoise,

    Les nuages pareils à des chauves-souris,

    Et là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

    Ruisseler le reflet pluvieux de l'ardoise.

     

    O mon divin Tourment, dans tes yeux bleus et gris

    S'aiguise et se ternit le reflet de l'ardoise.

    Tes longs doigts, où sommeille une étrange turquoise,

    Ont pour les lys fanés un geste de mépris.

     

    La clarté du couchant prestigieux pavoise

    La mer et les vaisseaux d'ailes de colibris...

    Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

    Ruisseler le reflet pluvieux de l'ardoise.

     

    Le flux et le reflux du soir déferle, gris

    Comme la mer, noyant les pierres et l'ardoise.

    Sur mon chemin le Doute aux yeux pâles se croise

    Avec le Souvenir, près des ifs assombris.

     

    Jamais, nous défendant de la foule narquoise,

    Un toit n'abritera nos soupirs incompris...

    Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,

    Ruisseler le reflet pluvieux de l'ardoise.

     

    Renée Vivien


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    Je poursuis mon chemin vers le havre inconnu.

    Les Femmes de Désir ont blessé mon coeur nu.

     

    Dans la perversité de leur inquiétude

    Elles ont outragé ma calme solitude.

     

    Elles n'ont respecté ni l'ordre ni la loi

    Que j'observais, avec un très exact effroi.

     

    Obéissant au cri de leurs aigres colères,

    Elles ont arraché mes prunelles trop claires.

     

    Et, voyant que j'étais debout en mon orgueil,

    Elles ont déchiré mes vêtements de deuil.

     

                    -------

     

    Entrelaçant pour moi les lys de la vallée,

    Les Femmes de Douceur m'ont enfin consolée.

     

    Elles m'ont rapporté la ferveur et l'espoir

    Dans leur robe, pareille à la robe du soir.

     

    Je sens mourir en moi la tristesse et la haine,

    En écoutant leur voix murmurante et lointaine.

     

    Voyant planer sur moi l'azur des jours meilleurs,

    Je les suivrai, j'irai selon leurs voeux, ailleurs.

     

    Puisque ces femmes-là sont la rançon des autres,

    Quels jours dorés et quels soirs divins seront nôtres!...

     

    Renée Vivien


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