•  

    Tes yeux sous tes cheveux sont comme des poignées

    De rayons à travers des toiles d'araignées.

     

    Ton sourire d'été, que l'aube colora,

    Est pareil au sourire orgueilleux de Sara.

     

    Mon regard s'hypnotise à cette fauve boucle

    Où le divin saphir épouse l'escarboucle.

     

    Tes parfums indiens, tes onguents et tes fards

    Etonnent la candeur simple des nénuphars.

     

    La haine de l'amour et l'amour de la haine

    Se partagent mon coeur et mon âme incertaine.

     

    La bienfaisante Mort montre d'un pâle index

    La colline lunaire où blondit le silex.

     

    Au lointain s'exaspère et s'exalte un arpège.

    Je veux purifier mon âme dans la neige...

     

    Vois, plus belle que le puéril Adonis,

    Mourir Adonéa dans un linceul de lys.

     

    Renée Vivien


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  •  

    Les Ondines, ceignant les roseaux bleus du fleuve,

    Ont des chansons de vierge et des sanglots de veuve.

    Leurs gemmes sont les pleurs lumineux du passé.

    Le Griffon s'alanguit en un songe lassé;

    Sur ses paupières a pesé la somnolence,

    Et ses ongles d'onyx ont rayé le silence.

     

    Ouvre tes ailes, prends l'essor, ivre du vin

    Des automnes et des couchants, Monstre divin,

    Sombre Lion ailé, plus beau que la Chimère!

    Chastement dédaigneux de la grâce éphémère,

    Tu flattes ta hideur orgueilleuse, qui dort

    D'un noir sommeil parmi les neiges de la Mort.

     

    Tes regards jaunes ont défié la lumière,

    Et sur ton col, où ne fume point de crinière,

    Une glauque nageoire ondule vers les flots.

    - Fuyant la lâcheté des antiques sanglots,

    Je tresserai les fleurs vertes du sycomore...

    Emporte-moi jusqu'aux limites de l'aurore!

     

    Renée Vivien


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                  Un acte en vers

     

                  Scène Première

     

    Le Palais des Doges. - Fenêtres ouvertes sur la lagune.

    On entend de lointains accords de luths et de mandolines.

     

                              Gemma.

    O Venise! j'ai l'âme ivre de sérénades:

    La musique a brûlé mes lèvres et mon front.

    Les barques où, parmi la pourpre des grenades,

    Rougit le rose frais des pastèques, s'en vont

    Sous la brise du soir ivre de sérénades.

     

                              Viola.

    Le crépuscule, las de regrets et d'espoir,

    Mire ses cheveux roux et ses yeux d'un bleu noir...

    Il m'apparaît ainsi qu'une femme fantasque,

    Une femme voilée et riant sous le masque,

    Que tente l'amoureuse aventure du soir.

     

                              Gemma.

    Mon coeur se ralentit, obscurément fantasque,

    Selon le glissement des gondoles... Le soir

    S'approche, souriant à demi sous son masque.

                    (Les luths s'interrompent brusquement.)

     

                              Viola.

    Ah! les luths se sont tus!

     

                              Gemma, écoutant.

                                             Voici, dans le couloir,

    Un bruit de soie et d'or...

                    (On entend un frisson de robe.)

                                             Voici la Dogaresse...

    L'ombre de son regard mystérieux m'oppresse

    Comme l'eau morte aux pieds rayonnants de la mer.

     

                              Viola, comme en songe.

    L'eau morte aux plis dormants...

     

                              Gemma, la rappelant à la réalité.

                                                         Voici la Dogaresse...

     

                              Viola, comme en songe.

    La contemplation des lagunes l'oppresse.

    Je redoute la froideur pâle de sa chair

    Et de ses yeux...

                    (Elle recule comme saisie par un pressentiment.)

     

                              Scène II

     

    La Dogaresse entre. Elle va vers la fenêtre. Pendant tout

    l'acte, ses yeux restent fixés sur l'eau du canal.

     

                              La Dogaresse.

                                  J'ai trop contemplé les lagunes.

    J'ai trop aimé leurs eaux sans remous, leurs eaux brunes;

    Elles m'attirent comme un désastreux appel...

    Je ne défaille plus sous le charme cruel

    Des accords et des chants... L'eau morte a pris mon âme.

     

                              Gemma.

    Les luths qui suppliaient, ainsi qu'un vaste appel,

    Les voix qui s'exaltaient, plus vives qu'une flamme,

    Ne font plus tressaillir le palais, telle une âme.

     

                              La Dogaresse.

    J'ai fait taire les luths... Le silence des eaux

    A plus de volupté que les sons les plus beaux...

    Ah! silence éternel où s'enlise mon âme!...

     

                              Viola, dans un cri d'effroi.

    Oh! ne contemplez pas les lagunes!

     

                              La Dogaresse, à Viola.

                                                               Dis-moi,

    N'as-tu point vu, sur l'eau sans clartés et sans voiles,

    Un mystère d'azur et d'étranges étoiles?

    Vers la nuit, n'as-tu point frissonné, comme moi,

    D'un immense désir dans un immense effroi?

     

                              Gemma, s'approchant de la fenêtre.

    Le ciel bariolé détruit ses mosaïques,

    Il s'effrite, il s'effondre...

     

                              La Dogaresse.

                                              O grave Viola,

    N'as-tu point frissonné quand le soir révéla

    Les verts hallucinants et les bleus magnétiques

    De l'eau morte, les bleus d'abîmes et les verts

    S'insinuant en nous comme un songe pervers?...

    Ah! l'eau morte!...

     

                              Viola.

                                  Mais la stupeur de l'automne ivre!

    Le couchant qui s'affirme en des clameurs de cuivre

    Et qui s'éteint, plus doux qu'un musical soupir!

    Les murs où, comme un sphinx, le soir vient s'accroupir...

    Les vignes de la nuit, fiévreuses et funèbres,

    Où sourd confusément le vin noir des ténèbres!

     

                              Gemma.

    On croit voir refluer votre ondoyant manteau

    Sur un rythme pareil au roulis d'un bateau.

     

                              La Dogaresse, comme hallucinée.

    L'onde nocturne m'a dévoilé ce mystère:

    Une mort amoureuse et pourtant solitaire,

    Un silence oublieux où dorment les sanglots,

    Un sommeil violet dans la pourpre des flots...

     

                              Gemma.

    Détournez vos regards fébriles!...

     

                              La Dogaresse.

                                                            L'eau m'appelle...

    L'eau m'attire...

     

                              Gemma, suppliante.

                               Madone...

     

                              Viola.

                                                 Oh! vous êtes plus belle

    Qu'au matin nuptial et bleu de Séraphim

    Où riaient, à travers l'encens de la nef grise,

    La harpe d'Azraël et le luth d'Eloïm,

    Où les cloches jetaient leurs lys d'or sur Venise!

                   (La Dogaresse sort lentement.)

     

                              Gemma.

    La lumière qui meurt à l'Occident se brise,

    Et le soir s'engourdit en son verger d'azur.

     

                              Viola.

    Au fond de ma tristesse il sommeille une joie.

     

                              Une voix de femme, du dehors.

    Elle se noie!

     

                              Voix de la foule.

                         Elle se noie!

     

                              Viola, dans un cri.

                                              Elle se noie!

    Mon âme se débat comme en rêve obscur...

     

                              Gemma.

    Comme elle, qui s'en va vers la mer, j'agonise...

    L'eau replie en rampant ses mille anneaux d'azur

    Sur celle que j'aimais...

     

                              Viola.

                                           Les lagunes l'ont prise.

     

    Renée Vivien


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                    Chanson Norvégienne

     

                             Choeur.

    Comme un vol de cygnes sauvages,

    Battements d'ailes vers le Nord,

    Passe le vol des blancs nuages,

    Chassés par la bise qui mord.

     

                              Récit.

    Viens, nous respirerons les parfums de la neige.

    Les brumes auront le bleu de tes regards froids.

    Tes cheveux sont la nuit des sapins, et ta voix

    Est l'écho des sommets que la tempête assiège.

     

                              Choeur.

    Comme un vol de cygnes sauvages,

    Battements d'ailes vers le Nord,

    Passe le vol des blancs nuages,

    Chassés par la bise qui mord.

     

                              Récit.

    Les yeux lointains des loups guetteront ton sommeil.

    Le vent victorieux et la mer magnanime

    Rafraîchiront ton front où l'espoir se ranime:

    Tu te réjouiras de la mort du soleil.

     

                              Choeur.

    Comme un vol de cygnes sauvages,

    Battements d'ailes vers le Nord,

    Passe le vol des blancs nuages,

    Chassés par la bise qui mord.

     

                             Récit.

    Viens, l'écho des sommets que la tempête assiège

    Vibre dans la candeur farouche de ta voix...

    Viens, nous effeuillerons les rires d'autrefois,

    Viens nous respirerons les parfums de la neige.

     

                              Choeur.

    Comme un vol de cygnes sauvages,

    Battements d'ailes vers le Nord,

    Passe le vol des blancs nuages,

    Chassés par la bise qui mord.

     

                              Récit.

    A travers une nuit plus sainte que la mort,

    Tu glisses pâlement, tel un cygne sauvage,

    O Svanhild! et l'on voit sur ton profond visage

    L'héroïque blancheur des Neiges et du Nord.

     

                              Choeur

    Je prendrai, comme les nuages

    Chassés par la bise qui mord,

    Et comme les cygnes sauvages,

    Mon élan vers le ciel du Nord.

     

    Renée Vivien


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    Les Morts aveugles sont assis dans les tombeaux,

      Ils ouvrent leurs yeux larges et stupides

      Devant la lueur rouge des flambeaux,

      Et leurs yeux béants sont des gouffres vides...

      Dardant vers la nuit leurs regards stupides,

    Les Morts aveugles sont assis dans les tombeaux.

     

    Je viendrai m'accroupir sur la pierre lépreuse

      Où la fièvre suinte en âcres moiteurs.

      Tel qu'un faux soupir de fausse amoureuse,

      Le jour éteindra ses rayons menteurs.

      Dans l'ombre exhalant ses lourdes moiteurs,

    Je viendrai m'accroupir sur la pierre lépreuse.

     

    Mais je retrouverai mes regards d'autrefois,

      Je te reverrai de mes yeux d'aveugle.

      Comme un mâle en rut qui brame et qui beugle,

      Je ferai crier tes os sous mon poids...

      Et, tournant vers toi ma prunelle aveugle,

    L'amour rallumera mes regards d'autrefois.

     

    Tu viendras t'accroupir sur la pierre lépreuse

      Et geindre parmi les âcres moiteurs,

      Et tes faux soupirs de fausse amoureuse

      Ressusciteront nos baisers menteurs.

      Dans l'ombre exhalant de lourdes moiteurs,

    Nous nous accroupirons sur la pierre lépreuse.

     

    Renée Vivien


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