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    L'aurore a traversé la salle du festin

    Traînant ses voiles gris parmi les roses mortes.

    Elle s'avance, elle entre, elle franchit les portes

    A pas lourds, à pas lents, tel un spectre hautain.

     

    Un rayon est tombé sur les torches éteintes.

    On voit enfin ces lys qui parurent si beaux

    A la lueur fugace et fausse des flambeaux,

    Et ces roses, et ces très tristes hyacinthes.

     

    Voici la place où ton corps chaud s'est détendu,

    Le coussin frais où s'est roulée ta chaude tête,

    Le luth, qui souligna l'éloquente requête,

    Le ciel peint, reflété dans ton regard perdu.

     

    Tes ongles ont meurtri ma chair, parmi les soies,

    Et j'en porte la trace orgueilleuse... Tes fards

    S'envolent en poussière, et sur les lits épars

    Tes voiles oubliés nous évoquent les joies.

     

    Implacables, ainsi que d'ingénus témoins,

    Les choses sont, dans leur netteté qui m'accuse,

    Le rappel froid et clair de cette nuit confuse.

    Des parfums oubliés persistent dans les coins.

     

                                       *

                                    *     *

     

    Je m'éveille, au milieu d'une forêt de torches

    Eteintes froidement dans la froideur du jour,

    Songeant à ma jeunesse, à son tremblant amour,

    Aux jasmins qui faisaient plus radieux les porches.

     

    Tel un supplice antique et savant, inventé

    Par un despote aux yeux creusés par le délire,

    L'horreur de n'être plus ce qu'on fut me déchire,

    Et le soir envahit mon palais enchanté.

     

    Je sens mourir l'odeur des jeunes hyacinthes.

    La fièvre me secoue en des frissons ardents,

    Tout s'éteint et tout meurt... Et je claque des dents

    Parmi les lys fanés et les torches éteintes.

     

    Renée Vivien


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    L'adorable repos, les brèves accalmies,

    Vous seules me les donnâtes, ô mes amies!

     

    Voyant paraître enfin la lune à l'arc d'argent,

    Je me repose et me désennuie, en songeant...

     

    Vous fûtes la douceur de mes heures mauvaises,

    Le baume oriental qui trompe les malaises,

     

    Et vous m'avez conduite en un verger païen

    Où l'âme ne regrette et ne désire rien.

     

    Vous fûtes le parfum du soir sur mon visage,

    Et la volupté triste, et la tristesse sage.

     

    Au hasard du Destin, vous fûtes tour à tour

    La sereine tendresse et le mauvais amour.

     

    Je vous prends et je vous respire, mes aimées,

    Ainsi qu'une guirlande aux fraîcheurs embaumées.

     

    Vous avez su tourner vers vous tous mes désirs,

    Et vous avez rempli mes mains de souvenirs.

     

    Je vous le dis, à vous qui m'avez couronnée:

    "Qu'importent les demains? Cette nuit m'est donnée!

     

    "Qu'importe désormais ce qui passe et qui fuit?

    Nul vent n'emportera l'odeur de cette nuit."

     

    Vous avez dénoué mes cheveux, ô maîtresses

    Qui mêliez en riant des roses à mes tresses!

     

    Si bien que je n'ai plus sangloté de ne voir

    A mon front ni léger pampre ni laurier noir.

     

    La gloire m'a souri dans les aubes dorées

    Puisque ma gloire est de vous avoir adorées.

     

    Vous m'avez enseigné dans les jardins, sachant

    Qu'ainsi je vous louerais, l'amertume du chant.

     

    Et, d'une voix parfois troublée et parfois claire,

    O femmes! j'ai chanté dans l'espoir de vous plaire.

     

    Renée Vivien


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    Ma brune aux yeux dorés, ton corps d'ivoire et d'ambre

    A laissé des reflets lumineux dans la chambre

                    Au-dessus du jardin.

     

    Le ciel clair de minuit, sous mes paupières closes,

    Rayonne encor... Je suis ivre de tant de roses

                    Plus rouges que le vin.

     

    Délaissant leur jardin, les roses m'ont suivie...

    Je bois leur souffle bref, je respire leur vie.

                    Toutes, elles sont là.

     

    C'est le miracle... Les étoiles sont entrées,

    Hâtives, à travers les vitres éventrées

                    Dont l'or fondu coula.

     

    Maintenant, parmi les roses et les étoiles,

    Te voici dans ma chambre, abandonnant tes voiles,

                    Et ta nudité luit.

     

    Sur mes yeux s'est posé ton regard indicible...

    Sans astres et sans fleurs, je rêve l'impossible

                    Dans le froid de la nuit.

     

    Renée Vivien


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    Quelle tristesse après le plaisir, mon amie,

    Quand le dernier baiser, plus triste qu'un sanglot,

    S'échappe en frémissant de ta bouche blêmie

    Et que, mélancolique et lente, sans un mot,

    Tu t'éloignes à pas songeurs, ô mon amie!

     

    Pareille à la douleur des adieux, dans le soir,

    L'angoisse qui nous vient de la volupté lasse!

    Pareille au vers qui ne sait plus nous émouvoir,

    Pareille au noir cortège impérial, qui passe

    Dans le funèbre éclat des cierges, vers le soir...

     

    Et je te sens déçue et je me sens lointaine...

    Nous demeurons avec les yeux de l'exilé,

    Suivant, tandis qu'un fil d'or frêle nous enchaîne,

    Du même regard las notre rêve envolé...

    Autre déjà, tu me souris, déjà lointaine...

     

    Renée Vivien


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    Très chère, sois plus femme encore, si tu veux

    Me plaire davantage et sois faible et sois tendre.

    Mêle avec art les fleurs qui parent tes cheveux,

    Et sache t'incliner au balcon pour attendre.

     

    Ce qu'il est de plus grave en un monde futile,

    C'est d'être belle et c'est de plaire aux yeux surpris,

    D'être la cime pure, et l'oasis, et l'île,

    Et la vague musique au langage incompris.

     

    Qu'un changeant univers se transforme en ta face,

    Que ta robe s'allie à la couleur du jour,

    Et choisis tes parfums avec un art sagace,

    Puisqu'un léger parfum sait attirer l'amour.

     

    Immobile au milieu des jours, sois attentive

    Comme si tu suivais les méandres d'un chant,

    Allonge ta paresse à l'ombre d'une rive,

    Erre sous les cyprès à l'ombre du couchant.

     

    Sois lointaine, sois la Présence des ruines

    Dans les palais détruits où frisonne l'hiver,

    Dans les temples croulants aux ombres sibyllines,

    Et souffre de la mort du soleil sur la mer.

     

    Comme une dont on hait la race et qu'on exile,

    Sois faible et parle bas, et marche avec lenteur,

    Expire chaque soir avec le jour fébrile,

    Agonise d'un bruit et meurs d'une senteur.

     

    Etant ainsi ce que mon rêve t'aurait faite,

    Reçois de mon amour un hommage fervent,

    O toi qui sais combien le ciel est décevant

    Aux curiosités fébriles du poète!

     

    Et je retrouverai dans ton unique voix,

    Dans le rayonnement de ton visage unique,

    Toute l'ancienne pompe et l'ancienne musique

    Et le tragique amour des reines d'autrefois.

     

    Tes beaux cheveux seront mon royal diadème,

    Mes sirènes d'hier chanteront dans ta voix.

    Tu seras tout ce que j'adorais autrefois,

    Toi seule incarneras l'amour divers que j'aime.

     

    Renée Vivien


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