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    Seule, je sais la mort de Madonna la Lune,

    De la Lune aux cheveux si blonds et si légers,

    Aux yeux furtifs et dont les voiles ouvragés

    Glissaient avec un si doux frisson dans la brune.

     

    Hier soir, quand j'errais au loin, je l'aperçus.

    Je l'aperçus penchée et pleurant, sous l'yeuse,

    Ainsi qu'une fantasque et plaintive amoureuse

    Se lamentant des chers baisers trop tôt déçus.

     

    Comme pour un festin, elle s'était parée,

    Elle s'était parée avec ses colliers d'or.

    Un hibou, s'élevant dans un craintif essor,

    La frôla doucement de son aile égarée.

     

    La Lune s'inclina. Telle aux soirs de jadis,

    Aux longs soirs de jadis tremblants sur l'eau dormante,

    Elle mirait son front capricieux d'amante...

    Et soudain j'entendis un froissement d'iris.

     

    J'écartai les roseaux frémissants et tenaces,

    Tenaces à l'égal de frêles bras liés.

    La Lune reposait, avec ses beaux colliers.

    Au loin se répandait un thrène de voix basses.

     

    La Lune diffusait une faible splendeur,

    Une splendeur mourante, au fond des herbes glauques.

    Et voici que, soudain, ayant tu ses chants rauques,

    Un crapaud se posa froidement sur son coeur.

     

    Je vais pleurant la mort de la Lune, ma Dame,

    De ma Dame qui gît au fond des nénuphars.

    Il n'est plus de clarté dans ses cheveux épars,

    Et ses yeux ont perdu l'azur vert de leur flamme.

     

    Quel lit recueillera mon frileux désespoir,

    Mon désespoir d'amant fidèle et de poète?

    O vous tous que le bruit de mes pleurs inquiète,

    La Lune s'est noyée au fond de l'étang noir!

     

    Renée Vivien


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    Elle demeure en son palais, près du Bosphore,

    Où la lune s'étend comme en un lit nacré...

    Sa bouche est interdite et son corps est sacré,

    Et nul être, sauf moi, n'osa l'étreindre encore.

     

    Des nègres cauteleux la servent à genoux...

    Humbles, ils ont pourtant des regards de menace

    Fugitifs à l'égal d'un éclair roux qui passe...

    Leur sourire est très blanc et leurs gestes très doux...

     

    Ils sont ainsi mauvais parce qu'ils sont eunuques

    Et que celle que j'aime a des yeux sans pareils,

    Pleins d'abîmes, de mers, de déserts, de soleils,

    Qui font vibrer d'amour les moelles et les nuques.

     

    Leur colère est le cri haineux de la douleur...

    Et moi, je les excuse en la sentant si belle,

    Si loin d'eux à jamais, si près de moi... Pour elle,

    Elle les voit souffrir en mordant une fleur.

     

    J'entre dans le palais baigné par l'eau charmante,

    Où l'ombre est calme, où le silence est infini,

    Où, sur les tapis frais plus qu'un herbage uni,

    Glissent avec lenteur les pas de mon amante.

     

    Ma Sultane aux yeux noirs m'attend, comme autrefois...

    Des jasmins enlaceurs voilent les jalousies...

    J'admire, en l'admirant, ses parures choisies,

    Et mon âme s'accroche aux bagues de ses doigts.

     

    Nos caresses ont de cruels enthousiasmes

    Et des effrois et des rires de désespoir...

    Plus tard une douceur tombe, semblable au soir,

    Et ce sont des baisers de soeur, après les spasmes.

     

    Elle redresse un pli de sa robe, en riant...

    Et j'évoque son corps mûri par la lumière

    Auprès du mien, dans quelque inégal cimetière,

    Sous l'ombre sans terreur des cyprès d'orient.

     

    Renée Vivien


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    Je m'écoute, avec des frissons ardents,

    Moi, le petit faune au regard farouche.

    L'âme des forêts vit entre mes dents

    Et le dieu du rythme habite ma bouche.

     

    Dans ce bois, loin des aegipans rôdeurs,

    Mon coeur est plus doux qu'une rose ouverte;

    Les rayons, chargés d'heureuses odeurs,

    Dansent au son frais de ma flûte verte.

     

    Mêlez vos cheveux et joignez vos bras

    Tandis qu'à vos pieds le bélier s'ébroue,

    Nymphes des halliers! Ne m'approchez pas!

    Allez rire ailleurs pendant que je joue!

     

    Car j'ai la pudeur de mon art sacré,

    Et, pour honorer la Muse hautaine,

    Je chercherai l'ombre et je cacherai

    Mes pipeaux vibrants dans le creux d'un chêne.

     

    Je jouerai, parmi l'ombre et les parfums,

    Tout le long du jour, en attendant l'heure

    Des choeurs turbulents et des jeux communs

    Et des seins offerts que la brise effleure...

     

    Mais je tais mon chant pieux et loyal

    Lorsque le festin s'exalte et flamboie.

    Seul le vent du soir apprendra mon mal,

    Et les arbres seuls connaîtront ma joie.

     

    Je défends ainsi mes instants meilleurs.

    Vous qui m'épiez de vos yeux de chèvres,

    O mes compagnons! allez rire ailleurs

    Pendant que le chant fleurit sur mes lèvres!

     

    Sinon, - je suis faune après tout, si beau

    Que soit mon hymne, et bouc qui se rebiffe, -

    Je me vengerai d'un coup de sabot

    Et d'un coup de corne et d'un coup de griffe!

     

    Renée Vivien


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    C'est le soir. On entend passer les caravanes.

    Rythmiques, les chameaux allongent leurs pas lourds.

    La clochette à leur cou jette des refrains sourds.

    Smyrne dort, du sommeil repu des courtisanes.

     

    Dans un jardin créé par les mains de la nuit

    De fabuleux jasmins déroulent leurs lianes,

    Et mes rêves s'en vont, comme des caravanes,

    Vers l'inconnu charmant où l'amour les conduit.

     

    Mes rêves, défilant en lentes caravanes,

    Mes grands rêves chargés du poids de tant d'espoirs,

    S'en vont, au bruit lointain des cloches, dans les soirs,

    Vers la maîtresse brune aux voiles diaphanes.

     

    Orientalement immuable, elle attend

    Sans rêve et sans désir, comme font les sultanes,

    Et peut-être, entendant passer les caravanes,

    Ses yeux les suivront-ils dans leur marche, un instant.

     

    Des palmiers surchargés de dattes, de bananes,

    M'attendent en l'espace aux rares tamaris.

    J'y connaîtrai l'espoir déçu de l'oasis

    Que cherche vainement la soif des caravanes.

     

    Mais je sais que là-bas, loin des ferveurs profanes,

    Beauté captive aux longs loisirs pleins de regret,

    Ma Sultane repose en ce palais sacré

    Où mes rêves s'en vont, comme des caravanes.

     

    Renée Vivien


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    Les êtres de la nuit et les êtres du jour

    Ont longtemps partagé mon âme, tour à tour.

    Les êtres de la nuit m'ont fait craindre le jour.

     

    Car les êtres du jour sont triomphants et libres,

    Nulle secrète horreur ne fait vibrer leurs fibres,

    Ils ont le regard clair de ceux qui naissent libres.

     

    Les êtres de la nuit sont lents, passifs et doux,

    Leur âme est comme un fleuve obscur et sans remous,

    Leurs gestes sont furtifs et leurs rires sont doux.

     

    Mais les êtres du jour ont des prunelles claires,

    De ce bleu que voient seuls les aigles dans leurs aires.

    Le jour fait resplendir ces prunelles trop claires.

     

    Ce sont les yeux aigus des héros et des rois

    Du Nord qu'on entend rire au fond des palais froids,

    Et des reines dont l'âme a dominé les rois.

     

    Les êtres de la nuit sont craintifs, - mais dans l'ombre

    Un phosphore inconnu luit en leur regard sombre:

    Les êtres de la nuit ne vivent que par l'ombre.

     

    Les êtres de la nuit sont faibles et charmants:

    Ils trompent, et ce sont les fugitifs amants,

    Les amantes aux coeurs perfides et charmants.

     

    Ils détournent, dans le baiser, leur froide bouche,

    Et leur pas se dérobe ainsi qu'un vol farouche.

    On ne boit qu'un baiser décevant sur leur bouche.

     

    Il faut craindre l'attrait des êtres de la nuit,

    Car leur corps souple glisse entre les bras et fuit,

    Et leur amour n'est qu'un mensonge dans la nuit.

     

    Renée Vivien


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