•  

    Droite et longue comme un cyprès,

    Mon ombre suit, à pas de louve,

    Mes pas que l'aube désapprouve.

    Mon ombre marche à pas de louve,

    Droite et longue comme un cyprès.

     

    Elle me suit, comme un reproche,

    Dans la lumière du matin,

    Je vois en elle mon destin

    Qui se resserre et se rapproche.

    A travers champs, par les matins,

    Mon ombre suit, comme un reproche.

     

    Mon ombre suit, comme un remords,

    La trace de mes pas sur l'herbe

    Lorsque je vais, portant ma gerbe,

    Vers l'allée où gîtent les morts.

    Mon ombre suit mes pas sur l'herbe,

    Implacable comme un remords.

     

    Renée Vivien


    votre commentaire
  •  

    J'ai bu, tel un poison, vos souffles éplorés,

    Vos sanglots de parfums, lys fauves, lys tigrés!

     

    Dédiez au matin votre rose sourire,

    Lys du Japon, éclos aux pays de porphyre.

     

    Ténèbres, répandez vos torpeurs d'opiums,

    Vos sommeils de tombeaux sur les chastes arums.

     

    Lys purs qui fleurissez les mystiques images,

    Sanctifiez les pelouses et les feuillages.

     

    Lys de Jérusalem, lys noirs où la nuit dort,

    Exhalez froidement vos souvenirs de mort.

     

    Vastes lys des autels où l'orgue tonne et prie,

    Brûlez dans la clarté des cierges de Marie.

     

    Sollicitez l'avril, ses pipeaux et ses voix,

    O muguets, lys de la vallée et des grands bois.

     

    O lys d'eau, nymphéas des amantes maudites,

    Anémones, lys roux des champs israélites,

     

    Soyez la floraison des douleurs de jadis

    Pour la vierge aux yeux faux que j'appelai mon lys.

     

    Renée Vivien


    votre commentaire
  •  

    L'ombre étouffe le rire étroit des Emmurées.

    Leur illusoire appel s'étrangle dans la nuit.

    Leur front implore en vain la brise qui s'enfuit

    Vers l'Ouest, où les mers sommeillent, azurées.

     

    Leur cécité profonde ignore les marées

    Des couleurs, les reflux de la fleur et du fruit;

    Leur surdité n'a plus le souvenir du bruit,

    Et la soif a noirci leurs lèvres altérées.

     

    Leur chair ne blondit point sous l'ambre des soleils,

    Lourde comme la pierre aux éternels sommeils

    Que la neige console et que frôlent les brises.

     

    S'éteignant dans l'oubli du silence vainqueur,

    Leur mort vivante a pris des attitudes grises...

    La rouille des lichens a dévoré leur coeur.

     

    Renée Vivien


    votre commentaire
  •  

                                    Et je regrette et je cherche...

                                                                    Psappha.

     

    Les oliviers, changeants et frais comme les vagues,

    Recueillent gravement tes murmures légers,

    Psappha, Divinité des temples d'orangers,

    Dont le chant surpassa le chant des étrangers...

    La montagne a des plis musicalement vagues...

     

    Tes lèvres ont l'inflexion d'un rire amer.

    Lasse d'éloges faux, lasse de calomnies,

    Tu te hâtes vers l'ombre aux roses infinies;

    Sous tes doigts doriens pleurent les harmonies;

    Tes regards ont le bleu complexe de la mer.

     

    Les vierges se reflètent, tiédeur parfumée,

    L'une dans l'autre, ainsi qu'en un vivant miroir.

    Tu regrettes et tu cherches, parmi l'or noir,

    Des yeux et des cheveux assombris par le soir,

    Atthis, la moins fervente, Atthis la plus aimée...

     

    Renée Vivien

     


    votre commentaire
  •  

    C'est l'heure où l'âme famélique des repus

    Agonise, parmi les festins corrompus.

     

    Et les Mangeurs d'herbe ont aiguisé leurs dents vertes

    Sur les prés d'octobre aux corolles large ouvertes,

     

    Les prés d'un ton de bois où se rouillent les clous...

    Ils boivent la rosée avec de longs glous-glous.

     

    L'été brun s'abandonne en des langueurs jalouses,

    Et les Mangeurs d'herbe ont défleuri les pelouses.

     

    Ils mastiquent le trèfle à la saveur du miel

    Et les bleuets des champs plus profonds que le ciel.

     

    Innocents, et pareils à la brebis naïve,

    Ils ruminent, en des sifflements de salive.

     

    Indifférents au vol serré des hannetons,

    Nul ne les vit jamais lever leurs yeux gloutons.

     

    Et, plus dominateur qu'un fracas de victoire,

    S'élève grassement le bruit de leurs mâchoires.

     

    Renée Vivien


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique