•  

     

    L'aube, dont le glaive reluit,

    Venge, comme une blanche Electre,

    La fiévreuse aux regards de spectre,

    Dupe et victime de la nuit...

     

    Vers l'horreur des étoiles noires

    Montent les funèbres accords...

    Sur la rigidité des morts

    Veillent les lys expiatoires.

     

    L'ombre aux métalliques reflets

    Engourdit les marais d'eau brune,

    Et voici que s'éteint la lune

    Dans le rire des feux follets.

     

    Ta chevelure est une pluie

    D'or et de parfum sur mes mains.

    Tu m'entraînes par les chemins

    Où la perversité s'ennuie.

     

    J'ai choisi, pour ceindre ton front,

    La pierre de lune et l'opale,

    L'aconit et la digitale,

    Et l'iris noir d'un lac profond.

     

    Volupté d'entendre les gouttes

    De ton sang perler sur les fleurs!...

    Les lys ont perdu leurs pâleurs

    Et les roses s'empourprent toutes...

     

    Renée Vivien


    votre commentaire
  • Donna m'apparve

     

                                    Sopra condido vel cinta d'oliva

                                    Donna m'apparve, sotto verde manto,

                                    Vestita di color di fiamma viva.

     

                                    Dante, Purgatorio, canto trentesimo.

     

    Lève nonchalamment tes paupières d'onyx,

    Verte apparition qui fus ma Béatrix.

     

    Vois les pontificats étendre, sur l'opprobre

    Des noces, leur chasuble aux violets d'octobre.

     

    Les cieux clament les De profundis irrités

    Et les Dies irae sur les Nativités.

     

    Les seins qu'ont ravagés les maternités lourdes

    Ont la difformité des outres et des gourdes.

     

    Voici, parmi l'effroi des clameurs d'olifants,

    Des faces et des yeux simiesques d'enfants,

     

    Et le repas du soir sous l'ombre des charmilles

    Réunit le troupeau stupide des familles.

     

    Une rébellion d'archanges triompha

    Pourtant, lorsque frémit le paktis de Psappha.

     

    Vois, l'ambiguïté des ténèbres évoque

    Le sourire pervers d'un Saint Jean équivoque.

     

    Renée Vivien


    votre commentaire
  •  

     

    Je n'ai point contemplé le mirage des formes,

    Je n'ai point désiré l'oasis des couleurs,

    J'ai su me détourner de la saveur des cormes

    Et des mûres de pourpre et des figues en fleurs.

    Mes doigts n'ont point pétri le moelleux des étoffes.

    J'ai fui, comme devant un reptile couché,

    Devant les sinueux discours des philosophes.

    Mais, ô ma conscience obscure! j'ai péché.

     

    Je me suis égarée en la vaste Musique,

    Lupanar aussi beau que peut l'être l'enfer;

    Des vierges m'imploraient sur la couche lubrique

    Où les sons effleuraient lascivement leur chair.

    Tandis que les chanteurs, tel un Hindou qui jongle,

    Balançaient en riant l'orage et le repos,

    Plus cruels que la dent et plus aigus que l'ongle,

    Les luths ont lacéré mes fibres et mes os.

     

    Tordus par le délire impétueux du spasme,

    Les instruments râlaient leur plaisir guttural,

    Et les accords hurlaient le noir enthousiasme

    Des prêtres érigeant les bûchers de santal;

    Des clochettes troublaient le sommeil des pagodes,

    Et de roses flamants poursuivaient les ibis...

    Je rêvais, à travers le murmure des odes,

    Les soirs égyptiens aux pieds de Rhodopis.

     

    Au profond des palais où meurt la lune jaune,

    Les cithares et les harpes ont retenti...

    Je voyais s'empourprer les murs de Babylone

    Et mes mains soulevaient le voile de Vashti.

    Eranna de Télos m'a vanté Mytilène.

    Comme un blond corps de femme indolemment couché,

    L'Ile imprégnait la mer de sa divine haleine...

    Voici, ma conscience obscure! j'ai péché...

     

    Renée Vivien


    votre commentaire
  •  

     

    Les évocations de ma froide folie

    Raniment les reflets sur le marais stagnant

    Où flotte ton regard, ô perverse Ophélie.

     

    C'est là que mes désirs te retrouvent, ceignant

    D'iris bleus ton silence et ta mélancolie,

    C'est là que les échos raillent en s'éloignant.

     

    L'eau morte a, dans la nuit, les langueurs des lagunes,

    Et voici, dispensant l'agonie et l'amour,

    L'automne aux cheveux roux mêlés de feuilles brunes.

     

    L'ombre suit lentement le lent départ du jour.

    Comme un ressouvenir d'antiques infortunes,

    Le vent râle, et la nuit prépare son retour.

     

    Je sonde le néant de ma froide folie.

    T'ai-je noyée hier dans le marais stagnant

    Où flotte ton regard, ô perverse Ophélie?

     

    Ai-je erré, vers le soir, douloureuse, et ceignant

    D'iris bleus ton silence et ta mélancolie,

    Tandis que les échos raillent en s'éloignant?

     

    L'eau calme a-t-elle encor les lueurs des lagunes,

    Et vois-tu s'incliner sur ton défunt amour

    L'automne aux cheveux roux mêlés de feuilles brunes?

     

    Ai-je pleuré ta mort dans l'énigme du jour

    Qui disparaît, chargé d'espoir et d'infortunes?...

    - O rythme sans réveil, ô rire sans retour!

     

    Renée Vivien


    votre commentaire
  •  

     

    L'orgueil endolori s'obstine

    A travestir ton coeur lassé,

    Ténébreux comme la morphine

    Et le mystère du passé.

     

    Tu récites les beaux mensonges

    Comme on récite les beaux vers.

    L'ombre répand de mauvais songes

    Sur tes yeux d'archange pervers.

     

    Tes joyaux sont des orchidées

    Qui se fanent sous tes regards

    Et les miroitantes idées

    Plus hypocrites que les fards.

     

    Tes prunelles inextinguibles

    Bravent la flamme et le soleil...

    Et les Présences Invisibles

    Rôdent autour de ton sommeil.

     

    Renée Vivien


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique