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POEME
J'ai ruiné mon cœur, j'ai dévasté mon âme
Et je suis aujourd'hui le mendiant d'amour:
Des souvenirs, pareils à la vermine infâme,
Me rongent à la face implacable du jour.
J'ai ruiné mon cœur, j'ai dévasté mon âme,
Et je viens lâchement implorer du destin
Un reflet de tes yeux au caprice divin,
O forme fugitive, ô pâleur parfumée
Si prodigalement, si largement aimée!
J'ai cherché ton regard dans les yeux étrangers,
J'ai cherché ton baiser sur des lèvres fuyantes;
La vigne qui rougit au soleil des vergers
M'a versé dans ses flots le rire des Bacchantes;
J'ai cherché ton parfum sur des lits étrangers
Sans libérer mon cœur de tes âpres caresses.
Et, comme les soupires des plaintives maîtresses
Qui pleurent dans la nuit un été sans retour,
J'entends gémir l'écho des paroles d'amour.
O forme fugitive, ô pâleur parfumée,
Incertaine douceur arrachée au destin,
Si prodigalement, si largement aimée!
J'ai perdu ton sourire au caprice divin;
O forme fugitive, ô pâleur parfumée,
Tu m'as faite aujourd'hui le mendiant d'amour
Etalant à la face implacable du jour
La douleur sans beauté d'une misère infâme...
J'ai ruiné mon cœur, j'ai dévasté mon âme.
Renée VIVIEN - 1906
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