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                           Il est, au coeur de la vallée, un étang

                           que l'on nomme l'Etang Mystérieux.        

     

    Je connais un étang qui somnole, blêmi

    Par l'aube blême et par le clair de lune ami.

     

    Un iris y fleurit, hardi comme une lance,

    Et le songe de l'eau s'y marie au silence.

     

    Aucun souffle ne fait balancer les roseaux.

    Le ciel qui s'y reflète a la couleur des eaux.

     

    Le flot recèle un long regret lascif et tendre,

    Et le silence et l'eau trouble semblent attendre.

     

    Là, les larges lys d'eau lèvent leur front laiteux.

    Les éphémères d'or y meurent, deux à deux...

     

    Je choisirai, pour te louanger, les paroles

    Qui coulent comme l'eau parmi les herbes folles.

     

    Les lys semblent offrir leur coupe bleue au jour:

    C'est l'élévation des calices d'amour.

     

    Les éphémères font songer, tournant par couples,

    A des femmes valsant, ondoyantes et souples.

     

    Les lotus léthéens lèvent leur front pâli...

    Ma Loreley, glissons lentement vers l'oubli.

     

    Dans un loyal adieu, tenons-nous enlacées

    Et mourons, comme les libellules lassées.

     

    Je te dirai: "Voici l'Etang Mystérieux

    Que ne connaîtront point les hommes curieux.

     

    "Viens dormir au milieu des lys d'eau... L'iris tremble,

    Et nous nous étreignons, nous qui mourons ensemble..."

     

    ... Je connais un étang qui somnole, blêmi

    Par l'aube blême et par le clair de lune ami.

     

    Et, sous l'eau de l'étang, qui mire les chimères,

    Des femmes vont mourir, comme les éphémères...

     

    Renée Vivien


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    Du fond de mon passé, je retourne vers toi,

    Mytilène, à travers les siècles disparates,

    T'apportant ma ferveur, ma jeunesse et ma foi,

    Et mon amour, ainsi qu'un présent d'aromates...

    Mytilène, à travers les siècles disparates,

    Du fond de mon passé, je retourne vers toi.

     

    Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes,

    Et ton azur où je me fonds et me dissous,

    Tes barques, et tes monts avec leurs nobles lignes,

    Tes cigales aux cris exaspérés et fous...

    Sous ton azur, où je me fonds et me dissous,

    Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes.

     

    Reçois dans tes vergers un couple féminin,

    Ile mélodieuse et propice aux caresses...

    Parmi l'asiatique odeur du lourd jasmin,

    Tu n'as point oublié Psappha ni ses maîtresses...

    Ile mélodieuse et propice aux caresses,

    Reçois dans tes vergers un couple féminin...

     

    Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique...

    Ressuscite pour nous les lyres et les voix;

    Et les rires anciens, et l'ancienne musique

    Qui rendit si poignants les baisers d'autrefois...

    Toi qui garde l'écho des lyres et des voix,

    Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique...

     

    Evoque les péplos ondoyant dans le soir,

    Les lueurs blondes et rousses des chevelures,

    La coupe d'or et les colliers et le miroir,

    Et la fleur d'hyacinthe et les faibles murmures...

    Evoque la clarté des belles chevelures

    Et des légers péplos qui passaient, dans le soir...

     

    Quand, disposant leurs corps sur tes lits d'algues sèches,

    Les amantes jetaient des mots las et brisés,

    Tu mêlais tes odeurs de roses et de pêches

    Aux longs chuchotements qui suivent les baisers...

    A notre tour, jetant des mots las et brisés,

    Nous disposons nos corps sur tes lits d'algues sèches...

     

    Mytilène, parure et splendeur de la mer,

    Comme elle versatile et comme elle éternelle,

    Sois l'autel aujourd'hui des ivresses d'hier...

    Puisque Psappha couchait avec une Immortelle,

    Accueille-nous avec bonté, pour l'amour d'elle,

    Mytilène, parure et splendeur de la mer!

     

    Renée Vivien


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    Je t'aime et te salue, ô mon ami le vent

    Qui rôdes à travers les champs gras où l'on sème,

    Et qui vient te pencher sur la mer, en buvant

    Les flots dont l'âcreté ravive ta soif blême...

     

    Rien ne saurait combler le vide de mes bras,

    Et mes jours impuissants ont des torpeurs mauvaises...

    J'aspire aux infinis que l'on n'atteindra pas...

    Quand m'emporteras-tu vers les rudes falaises?

     

    Quand m'emporteras-tu vers les gris horizons,

    Vers les récifs et vers les îles désolées

    Où les plantes n'ont point les magiques poisons

    Que cherchent en vain les princesses exilées?...

     

    Quand m'emporteras-tu vers l'éternel hiver

    Où nul essor de blancs goélands ne s'élance,

    Où les soirs ont glacé le tourment de la mer,

    Où rien d'humain ne vit au milieu du silence?

     

    Renée Vivien


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                               I

     

    Tel un arc triomphal, plein d'ocres et d'azurs,

    Les horizons du soir s'ouvrent larges et purs.

     

    Quand passerai-je, avec mes Victoires dans l'âme,

    Sous l'arc édifié pour celui qu'on acclame?

     

    L'arc mémorable et vaste enferme le couchant

    En sa courbe pareille au rythme fier d'un chant.

     

    Quand passerai-je, ayant sur moi comme un bruit d'ailes

    Que font, dans l'air sacré, mes Victoires fidèles?

     

    Certes, l'heure n'est point aux poètes, et moi

    Je n'ai que ma jeunesse et ma force et ma foi.

     

    L'arc triomphal est là, clair parmi les nuits noires.

    Quand passerai-je, sous l'aile de mes Victoires?

     

     

                               II

     

    Je le sais, - aujourd'hui cela fait moins de mal, -

    Je ne passerai point sous un arc triomphal.

     

    Et je n'entendrai point la voix ivre des femmes

    Qui sanglotent: "Voici l'offrande de nos âmes..."

     

    Je passerai, sans fleurs, sans lauriers, sans espoir.

    Nulle ne m'attendra dans la pourpre du soir.

     

    Résignée, et songeant aux défaites passées,

    J'aurai sur moi le bruit de leurs ailes lassées...

     

    Comme un arc triomphal plein d'ocres et d'azurs,

    Les horizons du soir s'ouvrent larges et purs...

     

    Renée Vivien


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    Nul flot ne bouge, nul rameau ne se balance...

    Le gris se fait plus gris, le noir se fait plus noir,

    Et le chant des oiseaux ne vaut pas le silence...

    Où donc irai-je, avec mon coeur, par ce beau soir?

     

    Dans le ciel du couchant triomphal, les nuages

    Roulent, lourds et dorés comme des chariots...

    Je suis lasse des jours, des voix et des visages

    Et des pleurs refoulés et des muets sanglots...

     

    Toi qui ressembles aux royales amoureuses,

    Revis auprès de moi les bonheurs effacés...

    A l'avenir chargé de ses roses fiévreuses

    Je préfère la pourpre et l'or des temps passés...

     

    Soyons lentes, parmi les choses trop hâtives...

    Il ne faut rien chercher... il ne faut rien vouloir...

    Allons en pleine mer, sans aborder aux rives...

    Me suivras-tu, vers l'infini, par ce beau soir?...

     

    Renée Vivien


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