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                                        A Madame M...

     

    Le soir s'est refermé, telle une sombre porte,

    Sur mes ravissements, sur mes élans d'hier...

    Je t'évoque, ô splendide! ô fille de la mer!

    Et je viens te pleurer, comme on pleure une morte.

     

    L'air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins,

    Et tes doigts sans vigueur ont fléchi sous les bagues.

    N'as-tu point chevauché sur la crête des vagues,

    Toi qui dors aujourd'hui dans l'ombre des coussins?

     

    L'orage et l'infini qui te charmaient naguère

    N'étaient-ils point parfaits, et ne valaient-ils pas

    Le calme conjugal de l'âtre et du repas

    Et la sécurité près de l'époux vulgaire?

     

    Tes yeux ont appris l'art du regard chaud et mol

    Et la soumission des paupières baissées.

    Je te vois, alanguie au fond des gynécées,

    Les cils fardés, le cerne agrandi par le kohl.

     

    Tes paresses et tes attitudes meurtries

    Ont enchanté le rêve épais et le loisir

    De celui qui t'apprit le stupide plaisir,

    O toi qui fus jadis la soeur des Valkyries!

     

    L'époux montre aujourd'hui tes yeux, si méprisants

    Jadis, tes mains, ton col indifférent de cygne,

    Comme on montre ses blés, son jardin et sa vigne

    Aux admirations des amis complaisants.

     

    Abdique ton royaume et sois la faible épouse

    Sans volonté devant le vouloir de l'époux...

    Livre ton corps fluide aux multiples remous,

    Sois plus docile encore à son ardeur jalouse.

     

    Garde ce piètre amour, qui ne sait décevoir

    Ton esprit autrefois possédé par les rêves...

    Mais ne reprends jamais l'âpre chemin des grèves,

    Où les algues ont des rythmes lents d'encensoir.

     

    N'écoute plus la voix de la mer, entendue

    Comme un songe à travers le soir aux voiles d'or...

    Car le soir et la mer te parleraient encor

    De ta virginité glorieuse et perdue.

     

    Renée Vivien


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    Viens, les heures d'amour sont furtives et rares...

    Le jardin matinal est plein d'oiseaux bizarres.

     

    Chère, je te convie à ce royal festin.

    Je ne veux pas jouir seule de ce matin.

     

    L'aube heurte le ciel comme une porte close.

    Viens boire la rosée au coeur blond de la rose.

     

    Bois la rosée ainsi qu'une fraîche liqueur,

    Mon coeur est une rose et je t'offre mon coeur...

     

    L'aube a des tons de nacre et des reflets de perle.

    La joie est simple et rien n'est aussi beau qu'un merle.

     

    Savourons cette ardeur un peu triste et pleurons

    De sentir la clarté première sur nos fronts.

     

    Viens, ma très chère... A l'est le ciel fardé chatoie,

    L'herbe est douce aux pieds nus comme un tapis de soie...

     

    Sans nous préoccuper de l'hostile destin,

    Rendons grâces au ciel clément pour ce matin.

     

    Renée Vivien


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    Je t'adore, Dieu pauvre entre les Immortels,

    Et j'ai tressé pour toi ces roses purpurines,

    Parce que tu n'as point de temples ni d'autels,

    Et que nul tiède encens ne flatte tes narines.

     

    Nul ne te craint et nul n'implore ta bonté...

    Ceux qui t'honorent sont pauvres, car tu leur donnes,

    Ayant ouvert tes mains vides, la pauvreté;

    Et ton souffle est plus froid que celui des automnes.

     

    Moi qui subis l'affront et le courroux des forts,

    Je t'apporte, Dieu pauvre et triste, ces offrandes:

    Des violettes que je cueillis chez les morts

    Et des fleurs de tabac, qui s'ouvraient toutes grandes...

     

    Dans un coffret de jade aux fermoirs de cristal,

    Dieu pauvre, je t'apporte humblement mon coeur sombre,

    Car je ne sais aimer que ce qui me fait mal,

    Eprise d'un fantôme et de l'ombre d'une ombre...

     

    Je ne demande rien à ta Divinité

    Sans parfums et que nul prêtre n'a reconnue...

    Nul roi n'a jamais craint de t'avoir irrité

    Et n'a pleuré devant ta châsse froide et nue.

     

    Mais moi qui hais la foule à l'entour des autels,

    Moi qui raille l'espoir cupide des prières,

    Je te consacre, ô le plus doux des Immortels,

    Ce chant pieux fleuri sur mes lèvres amères.

     

    Renée Vivien


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    Le couchant répandra la neige des opales,

    Et l'air sera chargé d'odeurs orientales.

     

    Les caïques furtifs jetteront leur éclair

    De poissons argentins qui traversent la mer.

     

    Ce sera le hasard qu'on aime et qu'on redoute...

    A pas lents, mon destin marchera sur la route.

     

    Je le reconnaîtrai parmi les inconnus

    Malgré les ciels changés et les temps survenus...

     

    Mon coeur palpitera, comme vibre une flamme...

    Et mon destin aura la forme d'une femme,

     

    Et mon destin aura de profonds cheveux bleus...

    Il sera le fantasque et le miraculeux.

     

    Involontairement, comme lorsque l'on pleure,

    Je me répèterai: "Toute femme a son heure:

     

    "Aucune ne sera pareille à celle-ci:

    Nul être n'attendra ce que j'attends ici."

     

    Celle qui brillera dans l'ombre solitaire

    M'emmènera vers le domaine du mystère.

     

    Près d'elle, j'entrerai, pâle autant qu'Aladin,

    Dans un prestigieux et terrible jardin.

     

    Mon cher destin, avec des lenteurs attendries,

    Détachera pour moi des fruits de pierreries.

     

    Je passerai, parmi le féerique décor,

    Impassible devant des arbres aux troncs d'or.

     

    Et je mépriserai le soleil et la lune

    Et les astres en fleur, pour cette femme brune.

     

    Ses yeux seront l'abîme où sombre l'univers

    Et ses cheveux seront la nuit où je me perds.

     

    A ses pieds nus, pleurant d'extases infinies,

    Je laisserai tomber la lampe des génies...

     

    Renée Vivien


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    Je t'aime de mon oeil unique, je te lorgne

          Ainsi qu'un chinois l'opium:

          Je t'aime de mon amour borgne,

          Fille aussi blanche qu'un arum.

          Je veux tes paupières de bistre,

          Et ta voix plus lente qu'un sistre;

          Je t'aime de mon oeil sinistre

          Où luit la colère du rhum.

     

    Je te suis du regard, lubrique comme un singe,

          Ivre comme un ballon sans lest.

          Ton âme incertaine de Sphinge

          Flotte entre le zist et le zest.

          Et je halette vers l'amorce

          Des seins vibrants, du souple torse

          Où la grâce épouse la force,

          Et des yeux verts comme l'ouest.

     

    Ton visage s'estompe à travers les courtines;

          Et tu médites, un fruit sec

          Entre tes lèvres florentines

          Où s'apaise un sourire grec.

          Je meurs de tes paroles brèves...

          Je veux que de tes dents tu crèves

          Mon oeil où se brouillent les rêves,

          Comme un ara, d'un coup de bec.

     

    Renée Vivien


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