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    Des parfums de cytise ont amolli la brise

    Et l'on s'attriste, errant sous le ciel transparent...

    Le soleil agonise... Et voici l'heure exquise...

    Dans le soir odorant, l'on s'attarde en pleurant...

     

    Tu reviens, frêle et rousse, ô ma belle! ô ma douce!...

    Comme en rêve, je vois tes yeux lointains et froids,

    Telle une eau sans secousse où le regret s'émousse...

    Sous leur regard je crois revivre l'autrefois.

     

    O chère ombre! moi-même ai brisé mon poème...

    Je ne dois plus te voir, dans le calme du soir...

    Regarde mon front blême et sens combien je t'aime...

    L'ombre, doux voile noir, couvre mon désespoir...

     

    Une rose inexprimable a fleuri sur le sable,

    Et tandis qu'alentour se fane le beau jour

    Je pleurerai, semblable à ceux que l'heure accable:

    "Seul n'a point de retour l'impatient amour..."

     

    Renée Vivien


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    Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,

    Et ma voile de soie et mon jardin de lys,

    Ma cassolette d'or et ma blanche colonne,

    Mon parc et mon étang de roseaux et d'iris.

     

    Vous êtes mes parfums d'ambre et de miel, ma palme,

    Mes feuillages, mes chants de cigales dans l'air,

    Ma neige qui se meurt d'être hautaine et calme,

    Et mes algues et mes paysages de mer.

     

    Et vous êtes ma cloche au sanglot monotone,

    Mon île fraîche et ma secourable oasis...

    Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,

    Et ma voile de soie et mon jardin de lys.

     

    Renée Vivien


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    Pour lui prouver que je l'aime plus que moi-même,

    Je donnerai mes yeux à la femme que j'aime.

     

    Je lui dirai d'un ton humble, tendre et joyeux:

    "Ma très chère, voici l'offrande de mes yeux."

     

    Je donnerai mes yeux qui virent tant de choses,

    Tant de couchant et tant de mers et tant de roses.

     

    Ces yeux, qui furent miens, se posèrent jadis

    Sur le terrible autel de l'antique Eleusis,

     

    Sur Séville aux beautés pieuses et profanes,

    Sur la lente Arabie avec ses caravanes.

     

    J'ai vu Grenade éprise en vain de ses grandeurs

    Mortes, parmi les chants et les lourdes odeurs,

     

    Venise qui pâlit, Dogaresse mourante,

    Et Florence qui fut la maîtresse de Dante.

     

    J'ai vu l'Hellade où pleure un écho de syrinx,

    Et l'Egypte accroupie en face du grand Sphinx.

     

    J'ai vu, près des flots sourds que la nuit rassérène,

    Ces lourds vergers qui son l'orgueil de Mytilène.

     

    J'ai vu des îles d'or aux temples parfumés,

    Et ce Yeddo, plein de voix frêles de mousmés.

     

    Au hasard des climats, des courants et des zones,

    J'ai vu la Chine même avec ses faces jaunes...

     

    J'ai vu les îles d'or où l'air se fait plus doux,

    Et les étangs sacrés près des temples hindous,

     

    Ces temples où survit l'inutile sagesse...

    Je te donne tout ce que j'ai vu, ma maîtresse!

     

    Je reviens, t'apportant mes ciels gris ou joyeux.

    Toi que j'aime, voici l'offrande de mes yeux.

     

    Renée Vivien


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    Vous n'avez point voulu m'écouter... Mais qu'importe?

    O vous dont le courroux vertueux s'échauffa

    Lorsque j'osai venir frapper à votre porte,

    Vous ne cueillerez point les roses de Psappha.

     

    Vous ne verrez jamais les jardins et les berges

    Où résonna l'accord puissant de son paktis,

    Et vous n'entendrez point le choeur sacré des vierges,

    Ni l'hymne d'Eranna ni le sanglot d'Atthis.

     

    Quant à moi, j'ai chanté... Nul écho ne s'éveille

    Dans vos maisons aux murs chaudement endormis.

    Je m'en vais sans colère et sans haine, pareille

    A ceux-là qui n'ont point de parents ni d'amis.

     

    Je ne suis point de ceux que la foule renomme,

    Mais de ceux qu'elle hait... Car j'osai concevoir

    Qu'une vierge amoureuse est plus belle qu'un homme,

    Et j'ai cherché des yeux de femme au fond du soir.

     

    O mes chants! nous n'aurons ni honte ni tristesse

    De voir nous mépriser ceux que nous méprisons...

    Et ce n'est plus à la foule que je m'adresse...

    Je n'ai jamais compris les lois ni les raisons...

     

    Allons-nous-en, mes chants dédaignés et moi-même...

    Que nous importent ceux qui n'ont point écouté?

    Allons vers le silence et vers l'ombre que j'aime,

    Et que l'oubli nous garde en son éternité...

     

    Renée Vivien


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    De la nuit chaotique un cri d'horreur s'exhale.

    Venez, nous errerons tous trois sous la rafale...

     

    Les gouffres lanceront vers nous leurs noirs appels.

    Nous passerons, ô mes compagnons éternels!

     

    L'éclair nous épouvante et la nuit nous désole...

    O vieux Lear, comme toi je suis errante et folle,

     

    Et ceux de ma famille et ceux de mes amis

    M'ont repoussée avec des outrages vomis.

     

    Comme toi, Dante, épris d'une douleur hautaine,

    Je suis une exilée au coeur gonflé de haine.

     

    En dépit du tonnerre et du froid et du vent,

    Nul n'a voulu m'ouvrir les portes du couvent...

     

    Mon père, le roi fou, mon frère, le poète,

    Voyez mes yeux et ma chevelure défaite.

     

    Des gens du peuple, en nous apercevant tous trois,

    Se signeront avec d'inconscients effrois.

     

    Malgré mes mains sans sceptre et mon front sans couronne,

    Je te ressemble, ô Lear que le monde abandonne!

     

    Malgré la pauvreté de mon obscur destin

    Et de mes vers, je te ressemble, ô Florentin!

     

    Ecoutez le tonnerre aux éclats de cymbale...

    Nous errerons jusqu'à l'aube sous la rafale.

     

    Renée Vivien


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