•  

    J'ai puérilisé mon coeur dans l'innocence

    De notre amour, éveil de calice enchanté.

    Dans les jardins où se parfume le silence,

    Où le rire fêlé retrouve l'innocence,

    Ma Douce! je t'adore avec simplicité.

     

    Tes doigts se sont noués autour de mon coeur rude.

    En un balbutiement pareil au cri naïf

    De l'inexpérience et de la gratitude,

    Je te dirai comment, lasse de la mer rude,

    Je bénis l'ancre au port où s'amarre l'esquif.

     

    Tes cheveux et ta voix et tes bras m'ont guérie.

    J'ai dépouillé la crainte et le furtif soupçon

    Et l'artificiel et la bizarrerie.

    J'abrite ainsi mon coeur de malade guérie

    Sous le toit amical de la bonne maison.

     

    J'ai la sécurité pourtant un peu tremblante

    De celles dont les yeux, d'avoir pleuré, sont lourds,

    Et je me réjouis de l'herbe et de la plante

    Dans ces jardins aux bleus midis, - un peu tremblante

    D'avoir trop redouté l'aspect des mauvais jours.

     

    A l'heure sororale et douce des mains jointes,

    J'ai contemplé, sereine, un visage effacé,

    Tels les convalescents aux fraîches courtepointes,

    La fièvre disparue... A l'heure des mains jointes,

    Je t'ai donné les derniers lys de mon passé.

     

    Renée Vivien


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  •  

    La lune se levait autrefois sur Lesbos

    Sur le verger nocturne où veillaient les amantes.

    L'amour rassasié montait des eaux dormantes

    Et sanglotait au coeur profond du sarbitos.

     

    Psappha ceignait son front d'augustes violettes

    Et célébrait l'Erôs qui s'abat comme un vent

    Sur les chênes... Atthis l'écoutait en rêvant,

    Et la torche avivait l'éclat des bandelettes.

     

    Les rives flamboyaient, blondes sous les pois d'or...

    Les vierges enseignaient aux belles étrangères

    Combien l'ombre est propice aux caresses légères,

    Et le ciel et la mer déployaient leur décor.

     

    Certaines d'entre nous ont conservé les rites

    De ce brûlant Lesbos doré comme un autel.

    Nous savons que l'amour est puissant et cruel,

    Et nos amantes ont les pieds blancs des Kharites.

     

    Nos corps sont pour leurs corps un fraternel miroir.

    Nos compagnes, aux seins de neige printanière,

    Savent de quelle étrange et suave manière

    Psappha pliait naguère Atthis à son vouloir.

     

    Nous adorons avec des candeurs infinies,

    En l'émerveillement d'un enfant étonné

    A qui l'or éternel des mondes fut donné...

    Psappha revit, par la vertu des harmonies.

     

    Nous savons effleurer d'un baiser de velours,

    Et nous savons étreindre avec des fougues blêmes;

    Nos caresses sont nos mélodieux poèmes...

    Notre amour est plus grand que toutes les amours.

     

    Nous redisons ces mots de Psappha, quand nous sommes

    Rêveuses sous un ciel illuminé d'argent:

    "O belles, envers vous mon coeur n'est point changeant..."

    Celles que nous aimons ont méprisé les hommes.

     

    Nos lunaires baisers ont de pâles douceurs,

    Nos doigts ne froissent point le duvet d'une joue,

    Et nous pouvons, quand la ceinture se dénoue,

    Etre tout à la fois des amants et des soeurs.

     

    Le désir est en nous moins fort que la tendresse.

    Et cependant l'amour d'une enfant nous dompta

    Selon la volonté de l'âpre Aphrodita,

    Et chacune de nous demeure sa prêtresse.

     

    Psappha revit et règne en nos corps frémissants;

    Comme elle, nous avons écouté la sirène,

    Comme elle encore, nous avons l'âme sereine,

    Nous qui n'entendons point l'insulte des passants.

     

    Ferventes, nous prions: "Que la nuit soit doublée

    Pour nous dont le baiser craint l'aurore, pour nous

    Dont l'Erôs mortel a délié les genoux,

    Qui sommes une chair éblouie et troublée..."

     

    Et nos maîtresses ne sauraient nous décevoir,

    Puisque c'est l'infini que nous aimons en elles...

    Et, puisque leurs baisers nous rendent éternelles,

    Nous ne redoutons point l'oubli dans l'Hadès noir.

     

    Ainsi, nous les chantons, l'âme sonore et pleine.

    Nos jours sans impudeur, sans crainte ni remords,

    Se déroulent, ainsi que de larges accords,

    Et nous aimons, comme on aimait à Mytilène.

     

    Renée Vivien


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  •  

    Si le Seigneur penchait son front sur mon trépas,

    Je lui dirais: "O Christ, je ne te connais pas.

     

    "Seigneur, ta stricte loi ne fut jamais la mienne,

    Et je vécus ainsi qu'une simple païenne.

     

    "Vois l'ingénuité de mon coeur pauvre et nu.

    Je ne te connais point. Je ne t'ai point connu.

     

    "J'ai passé comme l'eau, j'ai fui comme le sable.

    Si j'ai péché, jamais je ne fus responsable.

     

    "Le monde était autour de moi, tel un jardin.

    Je buvais l'aube claire et le soir cristallin.

     

    "Le soleil me ceignait de ses plus vives flammes,

    Et l'amour m'inclina vers la beauté des femmes.

     

    "Voici, le large ciel s'étalait comme un dais.

    Une vierge parut sur mon seuil. J'attendais.

     

    "La nuit tomba... Puis le matin nous a surprises

    Maussadement, de ses maussades lueurs grises.

     

    "Et dans mes bras qui la pressaient elle a dormi

    Ainsi que dort l'amante aux bras de son ami.

     

    "Depuis lors j'ai vécu dans le trouble d'un rêve,

    Cherchant l'éternité dans la minute brève.

     

    "Je ne vis point combien ses yeux clairs étaient froids,

    Et j'aimai cette femme, au mépris de tes lois.

     

    "Comme je ne cherchais que l'amour, obsédée

    Par un regard, les gens de bien m'ont lapidée.

     

    "Moi, je n'écoutai plus que la voix que j'aimais,

    Ayant compris que nul ne comprendrait jamais.

     

    "Pourtant, la nuit approche, et mon nom périssable

    S'efface, tel un mot qu'on écrit sur le sable.

     

    "L'ardeur des lendemains sait aussi décevoir:

    Nul ne murmurera mes strophes, vers le soir.

     

    "Vois, maintenant, Seigneur, juge-moi. Car nous sommes

    Face à face, devant le silence des hommes.

     

    "Autant que doux, l'amour me fut jadis amer,

    Et je n'ai mérité ni le ciel ni l'enfer.

     

    "Je n'ai point recueilli les cantiques des anges,

    Pour avoir entendu jadis des chants étranges,

     

    "Les chants de ce Lesbos dont les choeurs se sont tus.

    Je n'ai point célébré comme il sied tes vertus.

     

    "Mais je ne tentai point de révolte farouche:

    Le baiser fut le seul blasphème de ma bouche.

     

    "Laisse-moi, me hâtant vers le soir bienvenu,

    Rejoindre celles-là qui ne t'ont point connu!

     

    "Psappha, les doigts errants sur la lyre endormie,

    S'étonnerait de la beauté de mon amie,

     

    "Et la vierge de mon désir, pareille aux lys,

    Lui semblerait plus belle et plus blanche qu'Atthis.

     

    "Nous, le choeur, retenant notre commune haleine,

    Ecouterions la voix qu'entendit Mytilène.

     

    "Et nous préparerions les fleurs et le tombeau,

    Nous qui l'avons aimée en un siècle moins beau.

     

    "Celle-là sut verser, parmi l'or et les soies

    Des couches molles, le nektar rempli de joies.

     

    "Elle nous chanterait, dans son langage clair,

    Ce verger lesbien qui s'ouvre sur la mer,

     

    "Ce doux verger plein de cigales, d'où s'échappe,

    Vibrant comme une voix, le parfum de la grappe.

     

    "Nos robes ondoieraient parmi les blancs péplos

    D'Atthis et de Timas, d'Eranna de Télos,

     

    "Et toutes celles-là dont le nom nous enchante

    S'assembleraient autour de l'Aède qui chante!

     

    "Voici, me sentant près de l'heure du trépas,

    J'ose ainsi te parler, Toi qu'on ne connaît pas.

     

    "Pardonne-moi, qui fus une simple païenne!

    Laisse-moi retourner vers la splendeur ancienne

     

    "Et, puisque enfin l'instant éternel est venu,

    Rejoindre celles-là qui ne t'ont point connu."

     

    Renée Vivien


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    Sans amie et sans livre, errant au bord des eaux

    Que le soleil ranime et la lune caresse,

    Venise, je serai comme une Dogaresse

    Eprise du sommeil de tes mornes canaux.

     

    Je croirai voir passer les superbes cohortes

    Qui ne sont plus, assise en mon chagrin errant.

    O toi qui ne sais plus la fraîcheur du courant,

    Attire-moi, Venise, au fond de tes eaux mortes!

     

    Et dis à ces amants stupides de demain

    Que je les ai jugés et que je les méprise...

    O toi, la solitaire et l'altière, ô Venise!

    Enseigne le néant de ce bonheur humain.

     

    Mène vers le péril cette troupe insensée,

    Qui s'enivre du chant de tes voix, dans la nuit,

    Qui suit le mouvement de la rame qui fuit

    Sans connaître le fond très noir de ta pensée.

     

    Et dis encore, ô toi qui pèses sur les eaux!

    Funèbre comme moi, comme moi froide et sombre,

    Redis avec ma voix sans écho, ma voix d'ombre,

    Que la mort seule est douce au fond de tes canaux!

     

    Renée Vivien


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    L'ombre nous semble une ennemie en embuscade...

    Viens, je t'emporterai comme une enfant malade,

    Comme une enfant plaintive et craintive et malade.

     

    Entre mes bras nerveux j'étreins ton corps léger.

    Tu verras que je sais guérir et protéger,

    Et que mes bras sont forts pour mieux te protéger.

     

    Les bois sacrés n'ont plus d'efficaces dictames,

    Et le monde a toujours été cruel aux femmes.

    Nous le savons, le monde est cruel pour les femmes.

     

    Les blâmes des humains ont pesé sur nos fronts,

    Mais nous irons plus loin. Là-bas, nous oublierons...

    Sous un ciel plus clément, plus doux, nous oublierons...

     

    Nous souvenant qu'il est de plus larges planètes,

    Nous entrerons dans le royaume des poètes,

    Ce merveilleux royaume où chantent les poètes.

     

    La lumière s'y meut sur un rythme divin.

    On n'a point de soucis et l'on est libre enfin.

    On s'étonne de vivre et d'être heureux enfin.

     

    Vois, élevés pour toi, ces palais d'émeraude

    Où le parfum s'égare, où la musique rôde,

    Où pleure un souvenir qui s'attarde et qui rôde.

     

    Mon amour, qui s'élève à la hauteur du chant,

    Louera tes cheveux roux plus beaux que le couchant...

    Ah! ces cheveux, plus beaux que le plus beau couchant!

     

    Les douleurs se feront exquises et lointaines,

    Au milieu des jardins et du bruit des fontaines,

    O mauresques jardins où dorment les fontaines.

     

    Nous bénirons les doux poètes fraternels

    En errant au milieu des jardins éternels,

    Dans l'harmonie et le clair de lune éternels...

     

    Renée Vivien


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