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    Or, par un soir pareil, je crus être poète...

    J'avais rêvé, dans le silence trop exquis,

    De soleils possédés et de lauriers conquis...

    Et ma vie est semblable aux lendemains de fête.

     

    Tout me fait mal, l'été, le rayon d'un fanal

    Rouge sur l'eau nocturne, et le rythme des rames,

    Les rosiers d'un jardin et les cheveux des femmes

    Et leur regard, tout me fait mal, tout me fait mal.

     

    Venez à moi, mes deux amours, mes bien-aimées...

    Je vous entourerai de vos anciens décors,

    Je vous rendrai vos fleurs, vos gemmes et vos ors,

    Et je rallumerai vos torches consumées.

     

    Vous fûtes ma splendeur et ma gloire et mon chant,

    Toi, Loreley, clair de lune, rire d'opale,

    Et toi dont la présence est calme et vespérale,

    Et l'amour plus pensif que le soleil couchant.

     

    O vous que mes désirs et mes pleurs ont parées,

    Toi que j'aimais hier, toi que j'aime aujourd'hui,

    Allons vers le palais d'où les reines ont fui,

    Et vers les faibles mers qui n'ont point de marées.

     

    Le dernier frisson d'or s'est tu dans les guêpiers...

    Toi, pâle comme Atthis, et toi, ceinte de roses

    Comme Dika, marchons sur les routes moroses

    Qui n'ont point su garder l'empreinte de nos pieds.

     

    Le présent despotique est comme un maître rude

    Qui tourmente l'esclave au sommeil harassé...

    Mes chères, descendons la pente du passé

    En sentant que le soir est plein de lassitude.

     

    Je songe à la fatigue, à l'ennui des retours

    Qui suivent les départs vers les terres charmantes...

    Allons ainsi jusqu'au futur, ô mes amantes!

    Sachant que nous avons vécu nos plus beaux jours.

     

    Renée Vivien


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    Tu viendras, les yeux pleins du soir et de l'hier...

    Et ce sera par un beau couchant sur la mer.

     

    Frêle comme un berceau posé sur les flots lisses,

    Notre barque sera pleine d'ambre et d'épices.

     

    Les vents s'inclineront, soumis à mon vouloir.

    Je te dirai: "La mer nous appartient, ce soir."

     

    Tes doigts ressembleront aux longs doigts des noyées.

    Nous irons au hasard, les voiles déployées.

     

    Levant tes yeux surpris, tu me demanderas:

    "Dans quel lit inconnu dormirai-je en tes bras?"

     

    Des oiseaux chanteront, cachés parmi les voiles.

    Nous verrons se lever les premières étoiles.

     

    Tu me diras: "Les flots se courbent sous ma main...

    Et quel est ce pays où nous vivrons demain?"

     

    Mais je te répondrai: "L'onde nocturne est blême,

    Et nous sommes encor loin de l'île que j'aime.

     

    "Ferme tes yeux lassés par le voyage et dors

    Comme en ta chambre close aux rumeurs du dehors...

     

    "Telle, dans un verger, une femme qui chante,

    Le bonheur nous attend dans cette île odorante.

     

    "Couvre ta face pâle avec tes cheveux roux.

    L'heure est calme et la paix de la mer est sur nous.

     

    "Ne t"inquiète point... Je suis accoutumée

    Aux risques de la mer et des vents, Bien-Aimée..."

     

    Sous la protection du croissant argentin,

    Tu dormiras jusqu'à l'approche du matin.

     

    Les plages traceront au loin la grise marge

    De leurs sables... Tes yeux s'ouvriront sur le large.

     

    Tu m'interrogeras, non sans un peu d'effroi.

    Des chants mystérieux parviendront jusqu'à toi...

     

    Tu me diras, avec des rougeurs ingénues:

    "Rien n'est aussi troublant que ces voix inconnues.

     

    "Leur souffle harmonieux évente mon front las:

    Mais l'aube est sombre encore et je ne comprends pas.

     

    "Notre mauvais passé saura-t-il nous rejoindre

    Au fond de ce matin craintif que je vois poindre?"

     

    Je te dirai, fermant tes lèvres d'un baiser:

    "Le bonheur est là-bas... Car il faut tout oser...

     

    "Là-bas, nous entendrons la suprême musique...

    Et, vois, nous abordons à l'île chimérique..."

     

    Renée Vivien


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                                 Viens, Déesse de Kupros, et verse

                                 délicatement dans les coupes d'or le

                                 nektar mêlé de joies.

                                                                      Psappha.

     

    Mon orgueil n'a connu que le blâme et l'affront,

    Et l'impossible gloire au loin rit et chatoie...

    Puisque le noir laurier ne ceindra point mon front,

    Remplis la coupe d'or et verse-moi la joie!

     

    Je me couronnerai de pampre, vers le soir.

    Grâce au vin bienfaisant qui chante dans les moelles,

    Je me verrai marcher vers l'azur et m'asseoir

    Parmi les Dieux, devant le festin des étoiles.

     

    Verse le vin de Chypre et le vin de Lesbos,

    Dont la chaude langueur sourit et s'insinue,

    Et, l'heure étant sacrée au roux Dionysos,

    Prends le thyrse odorant et danse, ardente et nue.

     

    Je bois l'été, le chant des cigales, les fruits,

    Les fleurs et le soleil dans le creux de l'amphore;

    Car la nuit du festin est brève entre les nuits

    Et le pampre divin se flétrit dès l'aurore.

     

    Renée Vivien


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    La nuit est façonnée avec un art subtil

    Ainsi qu'un merveilleux palais de Boabdil.

     

    La fontaine redit ses rythmes monotones

    Et les ifs argentés sont de blanches colonnes.

     

    Dans le jardin, roi morne et conquérant lassé,

    Se recueille et s'attarde et veille le passé.

     

    Le ciel, où la lumière est éclatante et noire,

    Est un plafond de cèdre et de nacre et d'ivoire.

     

    Par cette nuit d'amour, mon désir est moins près

    Des jets d'eau radieux et purs que des cyprès.

     

    Pourtant j'aime l'élan des rossignols, et j'aime

    Ces fontaines qui sont plus belles qu'un poème.

     

    Viens dans ces murs, où ton caprice me céda,

    Ma maîtresse de tous les temps, Zoraïda!

     

    Faisons revivre, au fond de ces tièdes allées,

    Les languides ghuzlas et les femmes voilées.

     

    Et rêvons un amour insensé, frémissant

    De victoire fatale et de fièvre et de sang.

     

    Ma maîtresse! tandis que l'instant se prolonge,

    Errons, les doigts unis, dans l'Alhambra du songe.

     

    Renée Vivien


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    En cette chambre où meurt un souvenir d'aveux,

    L'odeur de nos jasmins d'hier s'est égarée...

    Pour toi seule je me suis vêtue et parée,

    Et pour toi seule j'ai dénoué mes cheveux.

     

    J'ai choisi des joyaux... Ont-ils l'heur de te plaire?

    Dans mon coeur anxieux quelque chose s'est tu...

    Comment t'apparaîtrai-je et que me diras-tu,

    Amie, en franchissant mon seuil crépusculaire?

     

    Des violettes et des algues vont pleuvoir

    A travers le vitrail violet et vert tendre...

    Je savoure l'angoisse idéale d'attendre

    Le bonheur qui ne vient qu'à l'approche du soir.

     

    En silence, j'attends l'heure que j'ai rêvée...

    La nuit passe, traînant son manteau sombre et clair...

    Mon âme illimitée est éparse dans l'air...

    Il fait tiède et voici: la lune s'est levée.

     

    Renée Vivien


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