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    Voici l'heure amoureuse où chante la Sirène...

    Les souvenirs sont des grappes que l'on égrène.

     

    Le silence est pareil à l'écho d'une voix,

    Et je me tourne, avec les regards d'autrefois,

     

    Vers celle qu'aujourd'hui mon baiser importune,

    Celle qui fut ma Loreley, ma fleur de lune.

     

    Pendant le jour je puis l'oublier, mais la nuit,

    Très blonde, elle se lève et son visage luit...

     

    Et je me sens alors moins forte, moins sereine...

    Voici l'heure amoureuse où chante la Sirène...

     

    Ses yeux changeants et frais sont le reflet de l'eau...

    Quand je rêve, le passé me semble plus beau.

     

    Quand je rêve, tout le passé se transfigure...

    Je la vois dénouant sa froide chevelure.

     

    Lorsque mon coeur est plein de l'ardeur du couchant,

    Je ne sais plus combien son rire fut méchant.

     

    Le croissant fend l'éther ainsi qu'une carène...

    Voici l'heure amoureuse où chante la Sirène.

     

    Lorsque l'ombre montante emplit mon coeur lassé,

    Je sens que nul bonheur ne vaut l'amer passé.

     

    Je sais combien sont faux les baisers que tu donnes,

    O chère! mais je sais que les larmes sont bonnes.

     

    Le passé rare est un trésor enseveli...

    Parfois, je ne crains rien au monde sauf l'oubli.

     

    Les souvenirs sont des grappes que l'on égrène.

    Voici l'heure amoureuse où chante la Sirène...

     

    Renée Vivien


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    Vous pour qui j'écrivis, ô belles jeunes femmes!

    Vous que, seules, j'aimais, relirez-vous mes vers

    Par les futurs matins neigeant sur l'univers,

    Et par les soirs futurs de roses et de flammes?

     

    Songerez-vous, parmi le désordre charmant

    De vos cheveux épars, de vos robes défaites:

    "Cette femme, à travers les sanglots et les fêtes,

    A porté ses regards et ses lèvres d'amants."

     

    Pâles et respirant votre chair embaumée,

    Dans l'évocation magique de la nuit,

    Direz-vous: " Cette femme eut l'ardeur qui me fuit...

    Que n'est-elle vivante! Elle m'aurait aimée..."

     

    Renée Vivien


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    Non! par les soirs futurs de roses et de flammes,

    Mystérieux ainsi que les temples hindous,

    Nul ne saura mon nom et nulle d'entre vous

    Ne redira mes vers, ô belles jeunes femmes!

     

    Nulle de vous n'aura le caprice charmant

    De regretter l'amour d'une impossible amie,

    Et d'appeler tout bas, désireuse et blêmie,

    L'impérieux baiser de mes lèvres d'amant.

     

    Vous chercherez l'amour, fraîches et parfumées,

    Tournant vers l'avenir vos pas irrésolus,

    Et nulle d'entre vous ne se souviendra plus

    De moi, qui vous aurais si gravement aimées...

     

    Renée Vivien


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    Pendant longtemps, je fus clouée au pilori,

    Et des femmes, voyant que je souffrais, ont ri.

     

    Puis, des hommes ont pris dans leurs mains une boue

    Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.

     

    Les pleurs montaient en moi, houleux comme des flots,

    Mais mon orgueil me fit refouler mes sanglots.

     

    Je les voyais ainsi, comme à travers un songe

    Affreux et dont l'horreur s'irrite et se prolonge.

     

    La place était publique et tous étaient venus,

    Et les femmes jetaient des rires ingénus.

     

    Ils se lançaient des fruits avec des chansons folles,

    Et le vent m'apportait le bruit de leurs paroles.

     

    J'ai senti la colère et l'horreur m'envahir.

    Silencieusement, j'appris à les haïr.

     

    Les insultes cinglaient, comme des fouets d'ortie.

    Lorsqu'ils m'ont détachée enfin, je suis partie.

     

    Je suis partie au gré des vents. Et depuis lors

    Mon visage est pareil à la face des morts.

     

    Renée Vivien


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    Le couchant est semblable à la mort d'un poète...

    Ah! pesanteur des ans et des songes vécus!

    Ici, je goûte en paix l'heure de la défaite,

    Car le soir pitoyable est l'ami des vaincus.

     

    Mes vers n'ont pas atteint à la calme excellence,

    Je l'ai compris, et nul ne les lira jamais...

    Il me reste la lune et le proche silence,

    Et les lys, et surtout la femme que j'aimais...

     

    Du moins, j'aurai connu la splendeur sans limite

    De la couleur, de la ligne, de la senteur...

    J'aurai vécu ma vie ainsi que l'on récite

    Un poème, avec art et tendresse et lenteur.

     

    Mes mains gardent l'odeur des belles chevelures.

    Que l'on m'enterre avec mes souvenirs, ainsi

    Qu'on enterrait avec les reines leurs parures...

    J'emporterai là-bas ma joie et mon souci...

     

    Isis, j'ai préparé la barque funéraire

    Que l'on remplit de fleurs, d'épices et de nard,

    Et dont la voile flotte en des plis de suaire...

    Les rituels rameurs sont prêts... Il se fait tard...

     

    Sous la protection auguste de tes ailes,

    O Déesse! j'irai vers les prés sans avril...

    Je partirai, parmi les odes fraternelles,

    Sur un fleuve plus large et plus noir que le Nil.

     

    Et que mon coeur soit lourd dans ta juste balance,

    Lorsque j'arriverai près du trône fatal

    Où le silence noir est plein de vigilance

    Et que servent les Dieux à têtes de chacal.

     

    Isis, fais-moi rejoindre, au fond des plaines nues,

    Les poètes obscurs qui savent les affronts

    Et qui passent, chantant leurs strophes inconnues

    Dans le soir éternel qui pèse sur leurs fronts...

     

    Renée Vivien


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