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    C'est en vain que, pour moi, ma raison s'évertue,

    Car je n'aime que ce qui me raille et me tue.

     

    Et ma grande douleur terrible, la voici:

    Partout je redirai: Je ne suis pas d'ici.

     

    Je n'ai rien calculé, je suis née ivre et folle.

    Au hasard, j'ai semé mon âme et ma parole.

     

    J'ai donné mes baisers et mes fleurs et mes lais,

    Et je n'ai point compris que je me dépouillais...

     

    J'aime le vent qui fait les pires catastrophes,

    L'encens mortel, les soirs fiévreux, le vin des strophes.

     

    Si je ne puis mourir d'une très douce mort

    Où je m'exhalerais sans cris et sans effort,

     

    Que retombe sur moi l'effroi d'un beau désastre,

    L'écroulement d'un temple ou la chute d'un astre!

     

    Et que je disparaisse au regard des humains,

    Ayant jeté mes fleurs au hasard des chemins.

     

    Que, si la Destinée est à ce point clémente,

    La nuit m'ensevelisse et le vent me lamente!

     

    Et dans ce long repos qu'aucun mot ne traduit,

    Que je dorme parmi les choses de la nuit.

     

    Renée Vivien


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    J'étais pareille à la voyageuse recrue,

    Lasse enfin des courants et des vents et du sort

    Et qui n'aspire plus qu'au bon sommeil du port...

    Miraculeusement vous m'êtes apparue...

     

    Et vous ressembliez à tout ce qui m'est cher,

    Aux jardins de juillet dans leur douceur croissante,

    Aux parfums respirés au détour d'une sente,

    Aux lys graves, aux clairs de lune sur la mer.

     

    Semblable à celles-là qu'une langueur accable,

    Sachant que vous étiez mon fragile avenir,

    Je vous regardais vivre et briller et fleurir.

    O lys parfait, ô clair de lune irréprochable!

     

    J'oubliai que je viens d'errer sur des chemins

    Trop rudes... Malgré moi je me suis arrêtée...

    Et cependant, ô belle à la voix enchantée!

    Je pleure de sentir mon coeur entre vos mains.

     

    Renée Vivien


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    J'admirais autrefois les splendides vainqueurs

    Vers qui monte la flamme extatique des coeurs.

     

    Mais je n'aime aujourd'hui que les vaincus très calmes

    Dont le sang fier ternit la verdure des palmes.

     

    Moi qui compte à pas lents le chemin du retour,

    J'aimais hier la gloire évidente du jour.

     

    Mais je sers aujourd'hui la nuit, ma souveraine,

    Qui seule inspire une âme orgueilleuse et sereine.

     

    Parmi le peuple, hier encor je contemplais

    D'un regard ébahi le fronton des palais.

     

    Je n'aime maintenant que les grandes ruines

    Où tardent, en pleurant, les présences divines.

     

    Je me tais, je m'enfuis et d'un geste lassé

    Je drape sur mon coeur la pourpre du passé.

     

    Qu'un hasard guide enfin mon désespoir tranquille

    Vers l'eau d'une oasis ou les berges d'une île,

     

    Où je puisse dormir, mon voyage accompli,

    Dans la sérénité profonde de l'oubli.

     

    Renée Vivien


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    Voici l'été... Les jours sont trop longs, mon amie,

    L'ombre tarde... On attend l'heure du grand repos,

    Des lys plus odorants, de la cloche endormie,

    De la grande fraîcheur des feuilles et des eaux.

     

    Je m'attriste de la clarté qui se prolonge.

    Mon coeur est l'ennemi des midis éclatants,

    Et malgré que les jours soient beaux comme un beau songe,

    Cette heure qui me plaît, je l'attends trop longtemps.

     

    Je le sais, le beau jour dore ta chevelure

    Large et blonde et qui se réjouit du soleil,

    Mais je préfère à tout cette tristesse pure

    Et cet ennui final qui mènent au sommeil.

     

    J'adore ton visage et je préfère l'ombre

    Mystérieuse où je ne puis que l'entrevoir...

    Je préfère à ton clair regard ton regard sombre.

    Belle, tu m'apparais plus belle vers le soir.

     

    Dans l'espoir de cette heure où tout désir s'émousse,

    Oublions la splendeur dure des jours trop longs.

    Dans le désir et le regret de la nuit douce

    Par ces longs soirs d'été trop lumineux, allons...

     

    Moi, je me baignerai dans cette ombre illusoire

    De tes cheveux et de tes seins et de tes bras

    En songeant à la paix, la douceur et la gloire

    D'un beau soir violet qui ne s'achève pas.

     

    Renée Vivien


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    Dans l'air la merveilleuse odeur de violettes,

    Nos doigts entrelacés et nos lèvres muettes.

     

    Les rosiers roux ont la couleur de tes cheveux

    Et nos coeurs sont pareils... Je veux ce que tu veux.

     

    Tout le jardin autour de nous, ma bien-aimée,

    Et la brise embaumant ta face parfumée.

     

    Nulle n'a la splendeur de tes cheveux flottants

    Ni le charme de ton sourire, ô mon Printemps!

     

    De tous mon coeur avide en chantant je te loue.

    Nulle n'a le contour précieux de ta joue,

     

    Nulle n'a ce regard incertain qui me plaît,

    Mêlé de gris aigu, de vert, et violet.

     

    Dans l'énorme univers nulle ne te ressemble,

    C'est pourquoi près de toi mon désir brûle et tremble.

     

    Je le sais, ton regard n'a pas la loyauté

    Et ta bouche a menti... Que j'aime ta beauté!

     

    Règne sur moi toujours, préférée et suprême...

    Que tes plus petits pas sont charmants... Que je t'aime!

     

    Renée Vivien


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