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                                                  Pour moi ce qu'on désire

                                                  Je l'ai méprisé.

                                                                              Sapho.

     

    Pour moi, ni l'amour triomphant, ni la gloire,

    Ni le souffle vain d'hommages superflus,

    Mais la paix d'un coin dans une maison noire

                    Où l'on n'aime plus.

     

    Je sais qu'ici-bas jamais rien ne fut juste,

    Je fus patiente en attendant la mort.

    J'ai tu ma douleur, et quoiqu'il fût injuste

                    J'ai subi mon sort.

     

    Pour moi, ni l'accueil bienveillant ni les fêtes,

    Mais l'apaisement d'un très profond soupir,

    Le silence noir qui succède aux défaites

                    Et le souvenir.

     

    Renée Vivien


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    Entre dans mon royaume, envahis mon empire.

    La grande salle a des colonnes de porphyre...

    Nous y célébrerons les lumineux festins

    Et nous réjouirons avec les morts hautains

                    Et les mortes charmantes.

     

    Les princesses et les reines et les amantes,

    Paradant et riant comme en leurs plus beaux jours,

    Revêtiront pour nous leurs glorieux atours.

    Regarde, les voici, très grandes, très sereines,

                    Celles qui furent Reines.

     

    Le long cortège des sibylles et des rois

    Se déroule, portant la pourpre d'autrefois.

    N'as-tu point reconnu, fantômes sous la lune,

    Rosemonde très blonde, Anne Boleyn très brune

                    Et Bess aux cheveux roux?

     

    Vois, devant ton regard orgueilleusement doux,

    Passer, chantant, pleurant ou riant, toutes celles

    Qui régnèrent, que l'on aima, qui furent belles.

    Les fontaines ont des flammes parmi leurs jets

                    Pour charmer tes sujets.

     

    Un grand prêtre ceindra ton front de la couronne.

    Devant cette assemblée illustre, entends: j'ordonne

    Qu'ici tout, désormais, te demeure soumis,

    Que tes voeux soient mes voeux, mes amis tes amis,

                    O volonté royale!

     

    Franchis le seuil de cette ancienne cathédrale

    Que j'ai bâtie avec mes songes dans le soir.

    On a paré la nef pour mieux te recevoir.

    Entre, sous le plafond semblable au creux d'un dôme,

                    Reine dans mon royaume.

     

    Renée Vivien


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                                       A.

    Femmes, pour revêtir ce corps dans le tombeau

    Avez-vous su tisser un linceul assez beau?

     

                                       B.

    Avec un soin pieux nous l'avons embaumée,

    Cette morte qui fut pour nous la soeur aimée.

     

                                       A.

    Joignez les mains, priez pour l'âme qui s'enfuit,

    Et s'éloigne, très triste et seule, dans la nuit...

     

                                       B.

    Nous pleurons sur la mort ce celle qui fut belle

    Et pour qui nous tramons ce linceul de dentelle...

     

                                       A.

    Prouvez-lui votre amour et votre loyauté

    En servant dans la mort sa dernière beauté!

     

                                       B.

    Tissons pour cette morte adorable et chérie

    Un voile comparable au voile de Marie...

     

                                       A.

    Disposez avec art ses cheveux sur son front,

    Sachant qu'à votre tour d'autres vous pareront.

     

                                       B.

    Nous cueillons, en pleurant, les tristes asphodèles...

    Dieu bienfaisant, donnez à cette âme des ailes!

     

    Renée Vivien


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    Elle viendra tantôt, cette femme que j'aime!

    Son voile aux plis flottants a de nobles ampleurs...

    Vous qui savez chanter, chantez un beau poème...

    Et parsemez de fleurs et de fleurs et de fleurs

    Le chemin lumineux de la femme que j'aime.

     

    Elle viendra vers moi, très blanche dans le soir,

    Cette femme que j'aime entre toutes les femmes!

    Elle a le don de se vêtir et se mouvoir

    Et de marcher sans bruit ainsi que font les âmes...

    Combien son pas léger est charmant dans le soir!

     

    Qui dira la beauté de Celle qui s'approche

    Et m'apporte son coeur entre ses tendres mains?

    Son visage est parfait, son corps est sans reproche,

    Son regard ne craint pas l'ombre des lendemains.

    Elle sait que je l'aime, Elle vient et s'approche...

     

    Vierges qui l'attendez, éteignez les flambeaux,

    Disposez autour d'elle ainsi qu'une parure

    L'ombre douce qui rend les visages plus beaux,

    Le regard plus profond et la ligne plus pure...

    Je l'entends... Elle vient... Eteignez les flambeaux.

     

    Renée Vivien


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    Une princesse attend, dans un cachot sans jour.

    Elle expie on ne sait quel criminel amour.

     

    On sait uniquement qu'elle est prédestinée.

    Elle est belle... Elle est jeune... Elle est l'Infortunée.

     

    Cependant le malheur n'a point courbé son front.

    La nuit se fait... Bientôt les bourreaux entreront.

     

    Elle n'écoute pas alors que le glas pleure,

    Elle sait pourtant qu'ils entreront tout à l'heure.

     

    Elle se voilera de ses profonds cheveux.

    Et les bourreaux diront simplement: Je le veux.

     

    Mais elle, détournant ses regards et sa bouche,

    Demeurera, sous leurs baisers, calme et farouche.

     

    L'amour et les tourments la briseront en vain.

    Elle mourra, dans la hauteur de son dédain.

     

    Elle fut la puissante et la très adorée

    Et nul ne pleurera sur sa tombe ignorée.

     

    On l'ensevelira dans la nuit. En tremblant,

    Une femme mettra sur son coeur un lys blanc.

     

    Renée Vivien


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