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Voici l'heure où le mort goûte aux festins funèbres,
Et je t'ai préparé, comme hier, le repas.
Grâce aux flammes, grâce aux lampes, on ne sent pas
L'enveloppement fin et serré des ténèbres.
Voici mes voiles verts, voici mon front paré
Des joyaux et des fleurs qui conviennent aux fêtes.
Daigne entrer! Comme hier, toutes choses sont prêtes.
Savoure le repas savamment préparé.
Ton coeur m'approuvera. Le vin est délectable.
Ayant mûri dans le soleil d'un très beau jour,
Les fruits semblent créés par les mains de l'amour.
Une lueur très douce illumine la table.
Ta place habituelle est prête. Viens t'asseoir,
Près de moi, prends ici ta place accoutumée,
O l'amie aux doux yeux tristes, la bien-aimée.
Pour toi j'ai revêtu mes parures, ce soir!
Pourtant un souffle froid entre-bâille la porte,
Et dans mon corps glacé je sens mon coeur transi...
Je ne puis oublier que je suis seule ici,
Que je suis triste et que je n'aime qu'une morte.
Renée Vivien
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I
Sur le Mode majeur
Je sens croître l'ennui des livres vieux et sages.
Donnez-moi, donnez-moi des mâts et des cordages!
Je ris en jetant l'ancre! Au hasard du vent fou,
Du flot capricieux, j'irai je ne sais où.
Mon corps est moins pesant et mon âme s'allège,
Car je ne reviendrai jamais... Où donc irai-je?
Puisqu'on y voit des ciels et des aspects nouveaux,
Tous les pays que l'on ne connaît pas sont beaux.
Les paysages sont changeants comme les nues.
Qui dira la splendeur des terres inconnues?
Je me souviens qu'au fond des soirs longs et songeurs
Je lisais les très beaux récits des voyageurs.
Ils avaient vu là-bas tant d'admirables choses!
Leurs morts s'illuminaient, rouges d'apothéoses.
Je les envie. Et je m'abandonne, comme eux,
Aux perfides courants des fleuves hasardeux.
Qu'on détache l'amarre et qu'on hisse les voiles
Dès que s'allumeront les premières étoiles!
Le ciel est doux, l'heure est favorable. A mon tour,
J'irai vers ces pays de terreur et d'amour.
Et je dis mes adieux aux choses familières,
Aux doux prés, aux maisons, à leurs bonnes lumières.
Je m'en vais sans pleurer, pour ne plus revenir.
Mais j'emporte avec moi le latent souvenir.
Dans le fond ténébreux et dormant de mon âme
S'élève, chaque nuit, un visage de femme.
II
Sur le Mode mineur
J'ai trop vu d'océans. J'ai trop vu de pays.
Le regard s'éteint presque en mes yeux éblouis.
Sachant que la bonté du sort m'est enfin due,
Je retournerai vers celle que j'ai perdue.
Toute autre forme n'est qu'un remous de la mer,
Et je ne me souviens de rien qui me fut cher.
Ces autres ont passé sur mon chemin, mais elle!
De mon âme elle a fait sa maison éternelle.
Nul bonheur de là-bas ne m'a fait oublier
Qu'entre ses frêles bras elle a su me lier.
*
* *
Unique, elle demeure en mon âme éternelle.
C'est pourquoi, malgré moi, je retourne près d'elle.
Je la verrai toujours ainsi que je la vis,
Avec les mêmes yeux ignorants et ravis.
A travers les hasards des courants et de l'heure
Et des vents et des ciels, elle existe et demeure...
Renée Vivien
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Parmi les thyms chauffés et leur bonne senteur
Et le bourdonnement d'abeilles inquiètes,
J'élève un autel d'or à la bonne Lenteur
Amie et protectrice auguste des poètes.
Elle enseigne l'oubli des heures et des jours
Et donne, avec le doux mépris de ce qui presse,
Le sens oriental de ces belles amours
Dont le songe parfait naquit de la paresse.
Daigne nous inspirer le distique touchant
Qui réveille en pleurant la mémoire dormante,
O Lenteur! toi qui rends plus suave un beau chant
Mélancolique et noble et digne de l'amante!
Inspire les amours, toi qui sais apaiser,
Retenir plus longtemps et rendre plus vivace
Et plus suave encore un suave baiser,
Et révèles la gloire entière de la face.
Nous ployons devant toi nos dociles genoux,
La contemplation nous étant chère encore...
Puisque nous t'honorons, demeure parmi nous,
Toi que nous adorons, ô Lenteur que j'adore!
Renée Vivien
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Mon éternel amour, te voici revenue.
Voici, contre ma chair, ta chair brûlante et nue.
Et je t'aime, et j'ai tout pardonné, tout compris;
Tu m'as enfin rendu ce que tu m'avais pris.
Je puis enfin dormir, dans l'ombre de ta couche,
Puisque j'ai reconquis ton regard et ta bouche.
J'oublie en tes doux bras qu'il fut des jours haïs,
Que tu m'abandonnas et que tu me trahis.
Qu'importe si jadis le caprice des heures
Sut t'entraîner vers des amours inférieures?
Qu'importe un être vil? Son nom soit effacé!...
Je ne me souviens plus de ce mauvais passé.
Je ne me souviens plus que de ta face pâle
Lorsque tu fis le don suprême, dans un râle...
Et voici, comme hier, ton corps entre mes bras...
Ordonne, je ferai tout ce que tu voudras.
Comment ne point bannir toute ancienne querelle
Et ne point pardonner, en te voyant si belle?
Comment ne pas t'étreindre et ne pas abolir
Le souci, l'amertume et le long souvenir,
Et n'aimer point la nuit qui voit nos chairs liées,
Et mourantes d'amour et réconciliées?...
Renée Vivien
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Je possède, en mes doigts subtils, le sens du monde,
Car le toucher pénètre ainsi que fait la voix.
L'harmonie et le songe et la douleur profonde
Frémissent longuement sur le bout de mes doigts.
Je comprends mieux, en les frôlant, les choses belles,
Je partage leur vie intense en les touchant.
C'est alors que je sais ce qu'elles ont en elles
De noble, de très doux et de pareil au chant.
Car mes doigts ont connu la chair des poteries,
La chair lisse du marbre aux féminins contours
Que la main qui les sait modeler a meurtries,
Et celle de la perle et celle du velours.
Ils ont connu la vie intime des fourrures,
Toison chaude et superbe où l'on plonge les mains,
Et l'odorant secret des belles chevelures
Où la brise du soir effeuilla des jasmins.
Semblables à ceux-là qui viennent des voyages,
Mes doigts ont parcouru d'infinis horizons,
Ils ont éclairé, mieux que mes yeux, des visages
Et m'ont prophétisé d'obscures trahisons.
Ils ont connu la peau subtile de la femme,
Et ses frissons cruels et ses parfums sournois...
Chair des choses! j'ai cru parfois étreindre une âme
Avec le frôlement prolongé de mes doigts...
Renée Vivien
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