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    Voici, je t'ai reprise et je t'ai reconquise...

    J'attendais ici, pour le fêter, ton retour...

    Que tu parais exquise, en ce fauteuil assise!

    Je t'aime mieux qu'au jour premier de notre amour.

     

    Tu n'as pas su comprendre et j'ai paru moins tendre,

    Ce fut l'éloignement de moi, de ton amant!

    Je suis lasse d'attendre et je viens te reprendre,

    Et c'est l'enivrement de l'unique moment.

     

    Irréelle et suprême à l'égal d'un poème,

    La splendeur du revoir a dépassé l'espoir...

    Et te voici toi-même, ô la femme que j'aime!

    Et tu reviens t'asseoir près de moi dans le soir...

     

    Renée Vivien


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    J'aime l'avril et l'eau, l'arc-en-ciel et la lune,

    J'aime tout ce qui change et qui trompe et qui fuit.

    Mon rire est inconstant autant que la fortune,

    Et je mens, car je suis la fille de la nuit.

     

    Et la nuit reconnaît en moi sa fille tendre.

    Elle me fait venir dans les bois endormis

    Et me donne l'ouïe exquise pour entendre,

    Comme en un songe aigu, les pas des ennemis.

     

    La nuit me fut toujours magnifique et clémente,

    J'appris d'elle les noirs chemins où l'on peut fuir,

    Elle amortit le bruit de mes pas sur la menthe

    Où l'ombre est douce autant qu'un léger souvenir.

     

    J'obtins d'elle le doux mépris de ce qui presse,

    Le regard détourné, la sainte horreur du bruit...

    Etant comblée ainsi, j'adore ma Déesse

    Inconnaissable et noire et parfaite, la Nuit.

     

    Renée Vivien


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    Mon coeur est lourd, mon coeur est lourd dans ma poitrine.

    Le soir tombe... Que l'on m'enterre avec mon coeur.

     

    L'amour me fut celui qui dompte et qui domine,

    Il parut dans ma vie en ennemi vainqueur.

     

    Moi, j'attendais de lui la concorde divine,

    L'hymne parfait chanté par les astres en choeur.

     

    O mon palais détruit et mon temple en ruine!...

    Femmes, je n'ai pas su triompher de mon coeur.

     

    Car toujours, en vivant, un destin nous domine,

    Et mon destin, ce fut ce dur amour vainqueur.

     

    Voici pourquoi mon coeur est lourd dans ma poitrine...

    Que l'on m'enterre avec tout le poids de mon coeur...

     

    Renée Vivien


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                                            I

     

                             Sur le Mode majeur

     

    Toi qui m'as oubliée aujourd'hui, qui fus mienne

    Cependant, viens dans la maison aérienne

                    Du songe et du passé.

     

    Il y demeure un soir doux au regard lassé.

    Les chambres aux plafonds creusés comme les dômes

                    S'y peuplent de fantômes.

     

    J'y retrouve là-bas les livres oubliés,

    Les sachets odorants encore et les colliers,

                    Les choses familières.

     

    Je ne sais quoi de triste obscurcit les lumières

    Pourtant... Et dans l'air traîne un funèbre parfum,

                    Car on attend quelqu'un.

     

    Reviens dans la maison du passé, mon amie!

    Cette chambre, qui fut si longtemps endormie,

                    S'éveillera pour toi.

     

    Et l'on n'y reconnaît que ton ordre, ta loi

    Que nul ne contredit et que nul ne transgresse,

                    Mon maître et ma maîtresse!

     

    Reconnais ton odeur d'ambre mêlé d'iris.

    Toute chose dans la demeure de jadis

                    Porte la chère empreinte...

     

    Le foyer s'est éteint, la lampe s'est éteinte

    Dans la chambre sans fleurs où je t'ouvre les bras,

                    Toi qui ne viendras pas!

     

     

                                            II

     

                             Sur le Mode mineur

     

    Miraculeusement, te voici revenue,

    En cherchant, à travers la bleuâtre avenue,

                    La maison du passé.

     

    Entre dans la maison chère au désir lassé

    Et vois, sous les plafonds creusés comme des dômes,

                    Son peuple de fantômes.

     

    Rentre dans la maison qui t'accueille, où j'attends...

    Rien n'est changé, sauf les tons d'or moins éclatants

                    Et les roses fanées.

     

    Et me voici, pareille à travers les années

    Pour t'accueillir, en ce dur instant de retour

                    Avec le même amour.

     

    Renée Vivien


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    Le soir ranime un peu le parfum de ces fleurs.

    Si vous le voulez bien, admirons-les ensemble.

     

    Mon coeur est affranchi de ses vieilles douleurs

    Et ma sérénité ne veille ni ne tremble.

     

    Il est tant de beauté sur la terre. Voyez,

    Elle est belle, comme en sa naissance première.

     

    Voici que, sous nos pas, des astres dévoyés

    Jettent, superbement, leurs éclats de lumière.

     

    Voici descendre enfin sur nous la belle nuit

    Si douce à qui se meurt, à qui se désespère,

     

    Où notre âme, fluide ainsi qu'une eau, s'enfuit

    Sans ancres et sans mâts et sans point de repère.

     

    Pour ceux qui sont lassés de l'azur et du jour,

    Le soir est un asile, un sanctuaire, un temple.

     

    ... Pourquoi me parlez-vous d'amour, toujours d'amour?

    Je suis tranquille et suis assise et je contemple.

     

    Renée Vivien


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