•  

    C'est l'heure où le désir implore et persuade...

    Le monde est amoureux comme une sérénade,

    Et l'air nocturne a des langueurs de sérénade.

     

    Les ouvriers du soir, tes magiques amis,

    Ont tissé d'or léger ta robe de samis

    Et semé d'iris bleus la trame du samis.

     

    Il me semble que nous venons l'une vers l'autre

    Du fond d'un autrefois inconnu qui fut nôtre,

    D'un pompeux et tragique autrefois qui fut nôtre.

     

    Sur mes lèvres persiste un souvenir charmant.

    Qui peut savoir? Je fus peut-être ton amant...

    O ma splendeur! je fus naguère ton amant...

     

    Une ombre de chagrin un peu cruel s'obstine,

    Amenuisant encor ta bouche florentine...

    Ah! ton sourire aigu de Dame florentine!

     

    Mon souvenir est plus tenace qu'un espoir...

    L'âme d'un page épris revit en moi ce soir,

    D'un page qui chantait sous ton balcon, le soir...

     

    Renée Vivien


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  •  

    A mon réveil, ce fut le miracle du monde,

    Le ciel aux bleus de songe et les flots d'or vivant,

    La Méditerranée... Et j'allais en rêvant,

    Tant la paix de l'aurore était sage et profonde,

    Que pour nous seules l'univers était vivant,

    Et que nous étions l'âme et le centre du monde.

     

    M'étant perdue au fond du jardin matinal,

    Je détachai pour toi du palmier cette palme

    Que la terre nourrit de sève forte et calme.

    Là-bas, où l'air sonore est un vibrant cristal,

    Très chère, tu prendras entre tes mains la palme

    Que j'ai rompue, en le mystère matinal.

     

    Car j'ai choisi, pour t'encadrer, ô la plus belle!

    La volupté de ce décor italien,

    De ce ciel dont le rire est moins doux que le tien,

    De cette mer qui voit la lune émerger d'elle...

    Vois, le prestigieux décor italien

    Est seul digne de t'encadrer, ô la plus belle!

     

    Et toi, sachant que rien n'égale la beauté,

    Ni la puissance, ni la foi, ni le génie,

    Souris, victorieuse, inconnue, infinie,

    Parfaite en ta douceur comme en ta cruauté,

    Plus grande que l'effort le plus fier du génie,

    O femme pâle en qui triomphe la beauté!

     

    Renée Vivien


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    Les heures ont éteint le feu de mes vertèbres,

    Et leur morne lourdeur a pesé sur mon front...

    Voici que les lointains trop clairs s'attendriront

    Et la nuit m'ouvrira son jardin de ténèbres.

     

    Solitaire, tandis que le temps coule et fuit,

    Je cueillerai les fleurs du regret et du songe.

    Reconnaissante au doux charme qui se prolonge,

    J'offrirai le parfum de mon âme à la nuit.

     

    Les poèmes ont des lignes trop régulières,

    Les musiques, un son trop clair, trop cristallin...

    Je frapperai bientôt aux portes du jardin

    Qui s'ouvriront pour moi, larges et familières.

     

    Car la nuit m'aime: elle a compris que je l'aimais...

    Et, sachant que je suis résignée et lointaine,

    Elle m'apporte, ainsi qu'en un coffret d'ébène,

    La tristesse des autrefois et des jamais...

     

    La nuit me livrera ses lys noirs et ses roses

    Noires et ses violettes aux bleus obscurs,

    Et je m'attarderai dans l'angle de ses murs

    Tels que ceux des cités royalement encloses...

     

    Peu m'importe aujourd'hui le caprice du sort...

    La nuit s'ouvre pour moi comme un jardin de reine

    Où je promènerai ma volupté sereine

    Et mon indifférence à l'égard de la mort.

     

    Renée Vivien


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    Ma douce, nous étions comme deux exilées,

    Et nous portions en nous nos âmes désolées.

     

    L'air de l'aurore était plus lancinant qu'un mal...

    Nul ne savait parler le langage natal...

     

    Alors que nous errions parmi les étrangères,

    Les odeurs du matin ne semblaient plus légères.

     

    Lorsque tu te levas sur moi, tel un espoir,

    Ta robe triste était de la couleur du soir.

     

    Voyant tomber la nuit, nous nous sommes assises,

    Pour sentir la fraîcheur amicale des brises.

     

    Puisque nous n'étions plus seules dans l'univers,

    Nous goûtions avec plus de langueur les beaux vers.

     

    Chère, nous hésitions, sans oser croire encore,

    Et je te dis: "Le soir est plus beau que l'aurore."

     

    Tu me donnas ton front, tu me donnas tes mains,

    Et je ne craignis plus les mauvais lendemains.

     

    Les couleurs éteignaient leur splendide insolence;

    Nulle voix ne venait troubler notre silence...

     

    J'oubliai les maisons et leur mauvais accueil...

    Le couchant empourprait mes vêtements de deuil.

     

    Et je te dis, fermant tes paupières mi-closes:

    "Les violettes sont plus belles que les roses."

     

    Les ténèbres gagnaient l'horizon, flot à flot...

    Ce fut autour de nous l'harmonieux sanglot...

     

    Une langueur noyait la cité forte et rude,

    Nous savourions ainsi l'heure en sa plénitude.

     

    La mort lente effaçait la lumière et le bruit...

    Je connus le visage auguste de la nuit.

     

    Et tu laissas glisser à tes pieds nus tes voiles...

    Ton corps m'apparut, plus noble sous les étoiles.

     

    C'était l'apaisement, le repos, le retour...

    Et je te dis: "Voici le comble de l'amour..."

     

    Jadis, portant en nous nos âmes désolées,

    Ma Douce, nous étions comme deux exilées...

     

    Renée Vivien


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    La lampe des longs soirs projette un rayon d'ambre

    Sur les cadres dont elle estompe les vieux ors.

    L'heure de mon départ a sonné dans la chambre...

    La nuit est noire et je ne vois rien au dehors.

     

    Je ne reconnais plus le visage des choses

    Qui furent les témoins des jours bons et mauvais...

    Voici que meurt l'odeur familière des roses...

    La nuit est noire, et je ne sais pas où je vais.

     

    Devrais-je regretter cet autrefois?... Peut-être...

    Mais je n'appartiens point aux regrets superflus...

    Je marche devant moi, l'avenir est mon maître,

    Et, quel que soit mon sort, je ne reviendrai plus.

     

    Renée Vivien


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